Après le sauvetage des mineurs, le point sur la télévision au Chili

Après le sauvetage des mineurs, le point sur la télévision au Chili

Le 13 octobre dernier, le sauvetage des 33 mineurs chiliens bloqués dans une mine de cuivre a battu des records d’audience.
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Le 13 octobre dernier, le sauvetage des 33 mineurs chiliens bloqués dans une mine de cuivre près de la ville de Copiapó a battu des records d’audience : selon des estimations, plus de un milliard de personnes à travers le monde ont suivi cet évènement en direct.

A titre de comparaison, cela représente 200 millions de personnes de plus que la finale de la Coupe du monde de football 2010, principal événement sportif mondial. Plus de 50 antennes satellites avaient été installées en Afrique du Sud pour retransmettre la compétition, alors qu’il y en avait plus de 150 pour les mineurs chiliens.

TVN et Chilevisión : un conflit d'intérêts pour Piñera ?


 
 
Les images du sauvetage ont été produites par TVN (Televisión Nacional). C’est une chaîne nationale, mais elle est financièrement indépendante de l’Etat. La loi 19.132 du 8 avril 1992 dispose en effet que TVN est une chaîne publique aux caractéristiques singulières : « autonome, pluraliste et indépendante, qui doit suivre la mission de la télévision publique et, en même temps, doit s’autofinancer ».
 
TVN a commencé à transmettre en 1969 et s’est d’emblée déclarée indépendante, malgré son appartenance à l’Etat. En opposition à une « peopolisation » (periodismo de farándula) de la télévision au Chili, TVN a adopté une politique différente : « ne pas destiner de ressources, d’équipes de production et de réalisation, ni de temps d’écran, ni de ressources journalistiques, pour la réalisation d’émissions « people » ».
 
Avec l’élection de Sebastián Piñera à la présidence de la République en  mars 2010, la presse et l’opposition ont dénoncé le risque d’un conflit d’intérêts, puisque Sebastián Piñera, l’un des hommes les plus riches du pays, possédait depuis avril 2005 Chilevisión, l’une des principales chaînes privées du Chili. Lors de sa campagne électorale, il avait d’ailleurs promis de vendre cette chaîne. Elle a effectivement été vendue le 24 août (plusieurs mois après l’arrivée de Sebastián Piñera au pouvoir) au groupe Turner International, de l’américain Ted Turner, une vente estimée à 140 millions de dollars. Sebastián Piñera a nommé le nouveau directeur de TVN, Leonidas Montes, avant la vente de Chilevisión, ce qui a été dénoncé par l’opposition comme la concrétisation de cette menace de conflit d’intérêts.
 
Avant d’appartenir à Sebastián Piñera puis à Ted Turner, Chilevisión a eu plusieurs noms et plusieurs propriétaires. La chaîne a été fondée en 1960 par des étudiants de l’Université du Chili. Nommée Corporación de Televisión de la Universidad de Chile jusqu’en 1980, elle était néanmoins plus connue sous le nom de Canal 9 (fréquence sur laquelle était transmise la chaîne). Entre 1980 et 1983, la chaîne devint Teleonce, puis Universidad de Chile Televisión durant les 8 années suivantes. En 1991, la chaîne adopta le nom de RTU : Red de Televisión Universitaria (RTU).
 
En 1993, lors de la vague de privatisations en Amérique latine, l’Université du Chili, propriétaire de la chaîne depuis sa création, la transforma en société anonyme et vendit 49 % de ses parts au consortium vénézuélien Venevisión, propriété de Gustavo Cisneros, du Groupe Cisneros, l’un des conglomérats les plus importants d’Amérique latine. La chaîne changea également de nom et devint Chilevisión S.A. Un an plus tard, l’Université du Chili vendit la quasi totalité de Chilevisión à Venevisión. En 1999, Chilevisión devint membre de Iberoamerican Media Partners, un conglomérat formé par le Cisneros Television Group et par le groupe américain Hicks Muse Tate and Furst.
 
En 2001, une fusion a eu lieu entre Iberoamerican Media Partners, le Cisneros Television Group et El Sitio (un des principaux sites internet hispanophones de la fin des années 90), créant une nouvelle compagnie appelée Claxson Interactive Group. En avril 2005, Claxson vendit la totalité des actions de Chilevisión à l’entreprise Bancard, propriété de Sebastián Piñera, qui a ensuite vendu la chaîne au groupe Turner.

Un secteur en évolution

Le leadership télévisuel au Chili se partage traditionnellement entre TVN et Canal 13. Canal 13 est la plus ancienne chaîne de télévision du Chili (premières transmissions en 1951) et se définit comme « la seule chaîne au monde appartenant à l’Eglise et à l’Université Catholique, de transmission terrestre qui atteint tout le pays et est dirigée à un public massif ».
 
Au cours des dernières années, cette chaîne a souffert d’un fort déclin et a été devancée en termes d’audience et de parts de marché par Chilevisión et par la chaîne Mega. Cette situation, ajoutée à la dette significative de Canal 13, a obligé la chaîne à vendre 67 % de ses actions au groupe Luksic, l’un des principaux conglomérats économiques chiliens.

La chaîne Mega et le "Piñeragate"


La chaîne Mega fut lancée en 1990 par Ricardo Claro Valdés (entrepreneur très proche du pinochetisme décédé en 2008), en partenariat avec la chaîne méxicaine Televisa. Les relations entre Ricardo Claro Valdés et Sebastián Piñera furent rapidement difficiles après le lancement par ce dernier d’un système de cartes de crédit que lui avait proposé Ricardo Claro Valdés. Sebastián Piñera implanta ce système au Chili en créant l’entreprise Bancard grâce à laquelle, entre autres entreprises, il s’enrichit.
 
En diffusant une vidéo compromettante lors d’un passage de Sebastián Piñera dans une émission de Mega (à l’époque appelée Megavisión) en 1992, Ricardo Claro Valdés déclencha ce qui fut connu comme le « Piñeragate » : cette vidéo montrait en effet comment Sebastián Piñera chercha à décrédibiliser Evelyn Mattei, l’une de ses rivales politiques (appartenant cependant au même parti), en divulguant des détails de sa vie personnelle.


Le marché télévisuel chilien est en constant changement depuis quelques années, notamment en raison de la démocratisation du pays après les "années Pinochet" et des privatisations des années 1990. 
 
Sebastián Piñera a su utilisé efficacement les médias et la communication dans sa gestion du sauvetage des mineurs. Son image en est sortie renforcée, alors qu’elle aurait pu être affectée par la précarité du travail dans les mines, pilier de l’économie chilienne.

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