Espagne et Amérique latine : un seul et même marché pour l'ebook ?

Pour les acteurs de l’ebook implantés en Espagne, l’Amérique latine est un débouché naturel. La tendance est-elle à la construction d’un marché hispanophone mondialisé ?

Temps de lecture : 13 min

 

Depuis 2010, le livre électronique a pris son essor en Espagne. Dans ce contexte, divers acteurs espagnols et internationaux (éditeurs, distributeurs, libraires, etc.) cherchent à tirer parti des débouchés naturels qui s’offrent à eux sur les marchés hispanophones d’Amérique latine, comme dans le secteur du livre papier. Leur arrivée dans cette région peut avoir un effet stimulant sur les écosystèmes numériques naissants : parfois, ces nouveaux arrivants poussent les acteurs locaux publics et privés, porteurs d’innovations adaptées à leurs marchés, à développer plus rapidement de nouvelles initiatives.
 
Toutefois, pour ces grandes structures, le développement de l’ebook en Amérique latine est aussi synonyme de défis économiques et juridiques inédits. Par exemple, il faut mettre au point des modèles économiques misant sur la complémentarité entre livre papier et livre électronique, permettant les investissements dans ce dernier secteur, et tenant compte des contextes locaux. De telles initiatives sont en effet conditionnées par différents facteurs propres au sous-continent (difficultés d’accès à la lecture et à internet, cherté des équipements existants, etc.), engendrant des situations contrastées selon les pays. Ainsi, l’implantation de l’ebook est plus avancée en Argentine, pays où l’on lit traditionnellement beaucoup, qu’au Mexique ou au Chili.
 
Dans ce contexte, la tendance est-elle à la construction d’un marché hispanophone globalisé, et si oui, dans quelles conditions ?

Ebook : l’essor du marché espagnol depuis 2010

 

En Espagne, à la mi-2013, l’ebook assurait 3 % du chiffre d’affaires réalisé grâce aux ventes de livres, contre 1 % en 2012. Cette évolution va de pair avec l’augmentation du nombre de terminaux de lecture chez les lecteurs espagnols qui, à la même date, possédaient notamment 5 millions de tablettes et liseuses. Des équipements qui influent sur le taux de pénétration du livre numérique, lequel a doublé entre 2010 et 2012, passant de 5,3 à 11,7 %. De telles caractéristiques rapprochent le jeune marché espagnol du marché français, où le livre numérique a rapporté, en 2012, 3,1 % du CA des ventes de livres , et où les lecteurs devraient détenir, fin 2013, 6,5 millions de tablettes et liseuses. Même si l’on reste encore loin des 20 % de CA rapportés par les ventes d’ebooks aux États-Unis, l’Espagne représente donc, dans ce secteur, un marché émergent. Et ce, malgré des éléments de contexte parfois défavorables à l’essor des ventes (piratage fréquent des contenus, réticence des Espagnols vis-à-vis du commerce en ligne, passage du taux de TVA de 4 à 21 % sur les ebooks en 2012).
 
Le livre numérique espagnol a vraiment pris son envol en 2010, avec la création de Libranda. Cette plateforme de distribution BtoB est une initiative conjointe de sept grands éditeurs implantés en Espagne (les Espagnols Grupo Planeta, Santillana, Roca Editorial, Grup 62, Grupo SM, et les groupes internationaux Random House Mondadori et Wolters Kluwer). Très vite, Libranda est devenue incontournable dans le paysage numérique national : en 2011, 80 % des ebooks vendus en Espagne avaient transité par cette plateforme. Et, fin 2012, elle proposait les publications de 128 éditeurs, représentant plus de la moitié du secteur de l’édition espagnol.

 
 
La plateforme Libranda 
 
La même année, dans le sillage de cette initiative, plusieurs projets ont été impulsés pour promouvoir, vendre et/ou distribuer des ebooks. Planeta en a lancé deux. Le premier, Tagus, associe la vente d’un dispositif de lecture, de contenus et services associés, donnant accès notamment aux 50 000 titres de la librairie en ligne Casa del Libro (également détenue par Planeta). Le second, Booquo, permet l’accès à un nuage de livres via un abonnement, ainsi que la participation à une communauté de lecteurs. Dans le même temps, l’éditeur barcelonais Ediciones B créait B de Books, une marque éditoriale innovante caractérisée par une offre exclusivement digitale, à des prix très compétitifs et sans DRM. Ces différents projets sont venus compléter notamment l’offre de trois grandes boutiques en ligne, ouvertes en 2009-2010 : Casa del Libro (15 % des parts de marché en 2012), El Corte Inglés et la FNAC (représentant chacune, la même année, 5 % des parts de marché). Enfin, en septembre 2013, Planeta s’est associé au leader espagnol de la téléphonie mobile Telefonica, pour faire évoluer Booquo. Rebaptisée « Nubico », la plateforme propose désormais un abonnement utilisable aussi bien sur une liseuse ou une tablette que sur un smartphone.

 
Promotion d'un ouvrage via YouTube par l'éditeur Ediciones B

Autant d’initiatives qui, pour les lecteurs espagnols, multiplient les moyens d’accès au livre numérique et les titres en espagnol disponibles : en mars 2013, on en recensait quelque 30 000. Un foisonnement qui s’explique en partie par l’arrivée d’Amazon, Google et Apple sur le marché de l’ebook en Espagne : les géants américains ont poussé les acteurs locaux à affiner leur stratégie numérique et à accélérer sa mise en œuvre. Il a fallu, d’abord, proposer des alternatives originales au catalogue fourni d’amazon.es (ouvert en septembre 2011 avec 22 000 titres en castillan et proposant 75 000 titres dans cette même langue en novembre 2013) et à la facilité d’usage de son « 1-Click ». Parallèlement, après quelques réticences, la majorité des éditeurs espagnols ont passé des accords de distribution avec amazon.es, afin que leurs ebooks soient présents sur le site et trouvent de nouveaux lecteurs.
 
Les implantations en Espagne d’Apple, puis de Google, ont suivi le même type de démarche, multipliant les débouchés possibles pour les éditeurs espagnols. Ainsi, l’arrivée de l’iBookstore, en septembre 2011, s’est accompagnée de la signature par Apple d’accords de distribution, avec Planeta et Santillana. Puis, Planeta, Random House Mondadori, Roca Editorial et Grup 62 ont signé des accords similaires avec Google Play, plateforme de vente d’ebooks ouverte en Espagne en mai 2012, avec 100 000 titres émanant de 1 000 éditeurs internationaux(1).

Cinq cent millions d’hispanophones à convertir au livre numérique

 

Les ambitions visant le marché espagnol du livre numérique se portent naturellement vers de plus larges débouchés, représentés par les lecteurs hispanophones dans leur ensemble
– l’Amérique latine étant une région d’exportation historique pour l’édition espagnole. En 2010, l’Institut Cervantes recensait plus de 450 millions d’hispanophones à travers le monde. Pour les acteurs du livre numérique, ces locuteurs représentent des lecteurs potentiels dix fois plus nombreux que les Espagnols eux-mêmes. Aussi, depuis juin 2011, Libranda travaille à l’extension de ses activités au Mexique, en Colombie, en Argentine et au Chili. Sur ces nouveaux marchés, l’enjeu est double pour la plateforme de distribution : il faut d’abord convaincre les libraires de l’intérêt du catalogue Libranda – et de ses 130 marques – pour les lecteurs des pays concernés ; il faut ensuite négocier avec les éditeurs nationaux pour pouvoir mettre en place une distribution internationale de leurs titres.
 
Concernant la vente directe d’ebooks et de dispositifs de lecture, les acteurs espagnols ne cachent pas non plus leurs ambitions globales. Avec la plateforme de vente en ligne portant le nom de sa chaîne historique de librairies Casa del Libro, Planeta veut proposer le plus grand catalogue d’ebooks en espagnol au monde. Son projet vise à l’exhaustivité : il inclut les titres édités par des pure players du livre numérique et les titres autoédités. La construction d’un tel catalogue implique un grand nombre de négociations au cas par cas, pour définir avec les éditeurs les pays de diffusion et le prix de vente de chaque œuvre. Une voie ouverte par le pionnier Todoebook, tout premier site de vente d’ebooks en espagnol, fondé en 2001. En 2012, celui-ci opérait notamment dans neuf pays hispano-américains (Mexique, Argentine, Colombie, Guatemala, Chili, Costa Rica, Venezuela, Équateur, Pérou). Cette plateforme fonctionne désormais comme un agrégateur offrant l’accès à plus de 30 000 titres publiés par plus de 500 éditeurs (chiffres 2012), via les catalogues de plusieurs librairies en ligne (dont El Corte Inglés et Casa del Libro).

 
 
Libairie Casa del Libro à Madrid

Quant à la plateforme Amabook, depuis sa création en 2009, elle offre aux éditeurs en espagnol une plateforme de vente bien implantée dans plusieurs pays d’Amérique latine (dont le Mexique, la Colombie, le Chili, l’Argentine, le Venezuela, le Pérou et l’Uruguay), chaque pays disposant d’un portail dédié. De plus, Amabook s’adresse à la communauté hispanique des États-Unis (soit 53 millions de personnes en 2012), qui représente un lectorat effectif et potentiel de plus en plus nombreux.
 
Ces stratégies de globalisation reposent aussi sur des accords avec d’autres canaux de vente d’ebooks, comme les opérateurs de téléphonie mobile (à l’exemple de Telefonica, déjà cité) ou les blogs. Autant de débouchés grâce auxquels l’ensemble du secteur éditorial espagnol espère compenser la baisse des ventes de livres papier, malgré un prix de vente des ebooks globalement plus faible que celui des livres imprimés.
 
Autre expérience intéressante, celle de Grammata et de sa liseuse Papyre. En commercialisant ce dispositif et des livres électroniques dans quatre pays d’Amérique latine (Argentine, Mexique, Uruguay, Colombie), l’entreprise a vu s’ouvrir de nouvelles opportunités. Par exemple, elle propose aujourd’hui aux éditeurs la numérisation de livres, et aux bibliothèques une application de gestion des liseuses d’ebooks, pour faciliter leur prêt et leur maintenance.

 
 
La liseuse Papyre 
 
Enfin, cette dynamique de mondialisation est portée par les éditeurs eux-mêmes. Lancée en 2012 par Alfaguara, Alfaguara Digital est une collection de littérature hispano-américaine, regroupant des titres argentins, colombiens, chiliens, boliviens et mexicains. Elle comprend à la fois des œuvres peu connues d’auteurs confirmés, et des œuvres de jeunes talents. L’originalité du catalogue réside dans le fait qu’il rend accessible des textes jusque-là introuvables en-dehors du pays de leur auteur. Une démarche qui tire pleinement profit de la souplesse de l’ebook pour développer un marché de niche. Avec sa collection Libr-e, l’éditeur Leer-e a choisi un chemin similaire : publier pour tout le monde hispanophone des titres introuvables d’auteurs reconnus, qu’il s’agisse de fictions, d’essais ou de pièces de théâtre.

Les géants du contenu en Amérique latine : les débuts d’une conquête ?

 

Forts de ces nombreuses initiatives, les acteurs espagnols occupent des positions de leaders sur le marché des livres électroniques en Amérique latine. Pour Google, Apple ou Amazon, ces entreprises représentent aussi des interlocuteurs importants dans leur développement sur les marchés des pays hispanophones. En effet, les éditeurs et distributeurs implantés en Espagne détiennent les droits d’exploitation de nombreux livres électroniques hispanophones , à l’exemple de Random House Mondadori, qui contrôle 70 % des œuvres d’auteurs chiliens disponibles en format digital.
 
Ainsi, pour devenir le premier « géant » à commercialiser en Amérique latine des livres distribués par Libranda, Apple a récemment passé un accord commercial avec cette plateforme. Cette transaction a facilité l’ouverture d’iBookstores, en 2012-2013, dans dix-sept pays d’Amérique latine (dont l’Argentine, la Bolivie, le Chili, la Colombie, l’Équateur, le Mexique, le Paraguay, le Pérou et le Venezuela). En effet, la majorité des 12 000 titres en castillan proposés dans la région par les iBookstores sont distribués par Libranda. Pour Apple, l’arrivée dans cette zone marque aussi le premier lancement d’une offre d’ebooks non standardisée, adaptée aux pays d’installation. Enfin, pour Libranda, l’accord signé permet d’offrir aux éditeurs espagnols un accès vers les iBookstores, représentant de nouveaux débouchés.
 
De son côté, en 2013, Amazon a créé des librairies numériques en Argentine, au Chili et au Brésil. Enfin, Google est arrivé au Mexique en mars 2013 via Google Play Books, mais n’est pas présent pour l’instant dans les autres pays hispanophones du sous-continent.

Un développement global jalonné de défis économiques et juridiques

 

Pour tous les acteurs impliqués dans cette dynamique de mondialisation, le chemin est semé de problématiques nouvelles. Éditeurs, distributeurs et libraires sont d’abord confrontés à un enjeu plus général : mettre au point des modèles économiques pour pérenniser la rentabilité du livre papier, tout en réalisant les investissements nécessaires au développement du livre numérique. Cela passe par exemple par une meilleure exploitation des complémentarités possibles entre les deux types de supports.
 
Pour les distributeurs et vendeurs d’ebooks, l’essor d’un marché hispanophone mondialisé repose aussi, comme on l’a vu, sur la négociation des droits d’exploitation des œuvres, avec les auteurs, traducteurs, agents littéraires, éditeurs et autres ayants droit. Dans plusieurs pays, comme au Chili ou au Pérou, la question des droits numériques n’a pas encore été abordée par les milieux concernés. En l’absence de clauses ou de contrats-types, ces droits peuvent donc être longs à négocier – d’autant que subsistent parfois, comme dans d’autres régions du monde, des réticences à l’encontre du livre électronique, telles que la peur du piratage des contenus.
 
Il faut aussi noter qu’il existe encore très peu de données fiables et détaillées sur la consommation d’ebooks en Amérique latine. Les seuls chiffres disponibles sont ceux publiés par le CERLALC (Centro Regional para el Fomento del Libro en América Latina y el Caribe), organisme créé à Bogotá sous l’égide de l’UNESCO. Ce manque d’informations ne facilite pas la connaissance des marchés locaux pour ceux qui souhaitent y étendre leurs activités.

Un contexte social et culturel où l’accès à la lecture est parfois difficile

 

Par ailleurs, s’agissant du livre numérique, le marché latino-américain pose un autre défi, à savoir les fortes disparités entre les pays de la zone en termes de pénétration du livre électronique. On observe en effet d’importants contrastes entre les pays où son implantation est la plus avancée (Argentine, Colombie) et ceux où il commence juste à être présent (Mexique, Chili, etc.). Ces disparités s’expliquent notamment par des habitudes de lecture différentes d’un pays à l’autre. Par exemple, l’Argentine, qui a une tradition de lecture bien ancrée, compte 70 % de lecteurs dans sa population, et 13 % d’entre eux lisent des ebooks. Au Chili, 12 % du lectorat lit aussi des ebooks, mais seuls 51 % des Chiliens lisent des livres… Cette situation contrastée complique la formation d’un marché globalisé, chaque pays présentant des spécificités historiques, culturelles et régionales marquées. Ainsi, dans certaines régions, les carences des systèmes éducatifs ne favorisent pas la démocratisation de la lecture, cruciale pour le développement de l’ebook à grande échelle.

L’essor du livre électronique repose aussi sur l’accès à Internet, qui reste problématique dans certains pays de la zone, à l’exemple du Mexique. En 2012, seul un quart de la population latino-américaine disposait d’une connexion haut débit, indispensable pour télécharger des ouvrages. De plus, la cherté des matériels permettant de lire des livres électroniques, qu’il s’agisse de liseuses, tablettes, smartphones ou ordinateurs importés, les rend encore inaccessibles à la majorité des habitants du sous-continent, qui ont un faible pouvoir d’achat. Au prix de l’équipement importé lui-même, identique à celui pratiqué dans les pays occidentaux, il faut en effet ajouter les droits de douane et les frais de port, parfois importants. Quant aux dispositifs fabriqués en Amérique latine, ils peuvent être encore plus onéreux, car produits en petite quantité avec des pièces également importées. Dans ce contexte, le taux d’équipement reste faible, et cela n’encourage pas les efforts d’investissement nécessaires à une plus large diffusion du livre numérique.

Petites structures et secteur public : des initiatives adaptées aux besoins locaux

 

Par rapport aux groupes basés en Espagne ou aux États-Unis, les acteurs latino-américains du livre numérique sont plus proches du terrain, mieux habitués aux spécificités et usages nationaux. Ils disposent souvent d’un meilleur réseau local, basé sur des relations durables avec les auteurs, éditeurs et libraires de leur pays, ville ou région. Ces atouts leur permettent de développer des projets bien en phase avec l’environnement dans lequel ils évoluent.
 
On peut citer l’exemple de la tarjeta eBook, lancée en Colombie par la start-up E-Libros. Cet éditeur numérique a élaboré une petite carte imprimée où figure la couverture d’un titre publié par la maison, ainsi qu’un identifiant permettant le téléchargement du livre. Vendu dans les librairies « physiques », ce produit permet d’aller à la rencontre de nouveaux lecteurs, dans des lieux où l’on a de grandes chances d’en trouver en Colombie. De plus, ce système répond à deux défis posés au e-commerce colombien : le manque de confiance dans la vente en ligne, et l’usage peu répandu des cartes de crédit.

 
 
 
La carte pré-payée d'e-libros pour télécharger en ligne un e-book (Colombie)

Au Chili, la même problématique s’est posée pour la librairie virtuelle Buscalibros, qui propose le paiement par carte en ligne, mais aussi en espèces à la livraison, ou par virement. Une spécificité qui, selon le gérant de la librairie, représente un avantage pour les clients locaux par rapport au site amazon.es, lequel n’autorise que le paiement par carte. De façon générale, pour ce professionnel, l’arrivée d’Amazon au Chili est vécue comme un événement stimulant, obligeant les autres acteurs du secteur à prendre de nouvelles initiatives. Le responsable de Buscalibros se félicite par exemple d’avoir pu signer un accord avec l’Association des éditeurs chiliens pour distribuer les ebooks des maisons d’édition locales – une entente basée sur les relations déjà entretenues avec ces structures.
 
Créée en Argentine en 2010, la plateforme Baja Libros entend quant à elle répondre à des besoins régionaux, à l’échelle du sous-continent, et nourrit aussi des ambitions globales. Depuis sa création, cette plateforme s’est ainsi taillé une part de choix dans le commerce du livre numérique hispanophone en Amérique latine. Ainsi, pour Libranda, elle génère davantage de ventes qu’Apple ou Amazon. En 2013, elle propose à la vente 50 000 titres en format ebook, dans treize pays hispano-américains (Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, Équateur, Mexique, Paraguay, Pérou, République dominicaine, Puerto Rico, Uruguay, Venezuela), en Espagne et aux États-Unis. Dans ce dernier pays, Baja Libros s’adresse à la communauté hispanophone, avec un catalogue de grands classiques américains traduits en castillan.
 
De la même façon, les organismes publics latino-américains mènent des projets répondant aux problématiques nationales ou régionales. Ainsi, le CERLALC travaille à la réalisation d’une plateforme latino-américaine proposant à la vente tous les livres numériques produits sur le continent – y compris les publications académiques, pour lesquelles il existe une forte demande. Au Mexique, le Conaculta (équivalent de notre ministère de la Culture) est très impliqué dans la numérisation des œuvres mexicaines. Le gouvernement étudie aussi la possibilité de fournir des dispositifs de lecture aux écoliers et aux étudiants – projet également à l’étude en Uruguay, en Équateur, au Venezuela et en Colombie.
 
Enfin, de façon plus générale, des initiatives publiques destinées à réduire la fracture numérique peuvent contribuer à l’essor de l’ebook sur le continent (Plan Ceibal en Uruguay, Plan Conectar Igualdad en Argentine).

Vers un nécessaire équilibre entre tendances globales et locales ?

 

Finalement, comme pour d’autres secteurs, le développement du marché du livre numérique hispanophone semble reposer sur un juste dosage entre stratégies globales et actions locales. Ainsi, pour mener à bien la globalisation de leurs activités, les grands groupes espagnols ou internationaux ont grand intérêt à s’appuyer sur des acteurs nationaux, qu’ils soient publics ou privés. En effet, ceux-ci ont une connaissance fine de leurs terrains d’implantation, et ont développé sur place, de longue date, des contacts professionnels fructueux. Aussi, ils peuvent répondre mieux que quiconque aux questions posées par la distribution et la vente d’ebooks dans leur pays. Par exemple, pour un distributeur comme Libranda, proposant ses services aux librairies en ligne latino-américaines, s’appuyer sur des contacts locaux représente un atout certain. De plus, ces acteurs nationaux sont forcément partie prenante dans la négociation de droits visant à la vente internationale d’œuvres locales.
 
Réciproquement, pour les acteurs locaux – en particulier pour les distributeurs et les libraires –, l’Espagne reste un interlocuteur incontournable. En effet, les éditeurs madrilènes et barcelonais détiennent les droits de nombreuses œuvres en castillan pour lesquelles il existe une demande en Amérique latine. De même, les grands groupes présentent une importante capacité d’investissement, sans laquelle le développement de l’ebook sur le continent ne pourra se faire rapidement.
 
Ainsi, le développement du livre électronique en Amérique latine apparaît comme dépendant d’une certaine coopération entre les acteurs en présence, au-delà de l’éventuelle concurrence entre leurs activités. Certes, le livre numérique a pris son envol dans la région. À titre d’exemple, chez les éditeurs latino-américains du secteur marchand, 15 % des titres étaient publiés sur support électronique ou digital en 2012, contre 9 % en 2010. Mais, malgré cette progression, il reste beaucoup à faire : en cumulant les ventes annuelles d’ebooks réalisées au Mexique et en Argentine, on arrive à peine à 40 % des revenus générés en Espagne par la même activité.
 
L’essor du secteur semble d’autant plus important que le livre numérique pourrait faciliter l’accès à la lecture pour bon nombre de Latino-Américains, vivant dans des zones parfois très éloignées d’une bibliothèque ou d’une librairie. Le dispositif de lecture d’ebook pourrait alors jouer un rôle assez similaire à celui du téléphone portable en Afrique, où les nouveaux usages de la téléphonie mobile pallient parfois le manque d’infrastructures.

Références

 

Observatoria de la Lectura y el Libro (Gobierno de España), Situación actual y perspectivas del libro digitalen España II, mars 2012
 
Rüdiger Wischenbart, The Global eBook Market: Current Conditions & Future Projections, O'Reilly Media, février 2013
 
Rüdiger Wischenbart, The Global eBook Market: A report on market trends and developments, O’Reilly Media, octobre 2013
 
 
 
Livres Hebdo, Cercle de la librairie, Librairies dans le monde, mai 2013

--
Crédits photo :
Illustration principale : la liseuse Papyre de Grammata (JoseMaria / Flickr)
La plateforme Libranda (planetahuevo / Flickr)
Librairie Casa del Libro à Madrid (Petezin / Flickr)
La liseuse Papyre (Héctor Rodriguez / Flickr)
Librairie mexicaine (Eneas de Troya / Flickr)
 
(1)

Source : « Google ouvre deux librairies numériques en Espagne et en Allemagne », Livres Hebdo, 15 juin 2012 

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris