Radiodays Europe, conjuguer le présent au futur

Radiodays Europe, conjuguer le présent au futur

Du 13 au 15 mars, les Radiodays Europe ont réuni plus de 1 500 professionnels de la radio du monde entier à Paris sur le thème Creating the future. Retour sur l’évènement.
Temps de lecture : 5 min

Média centenaire, la radio s’est vue concurrencée par de nouveaux acteurs avec l’arrivée du numérique. Parallèlement, les pratiques d’écoute des auditeurs ont changé et se sont fragmentées. Désormais, l’écoute se partage entre plateformes de streaming et podcasts, diffusion terrestre et RNT ou encore webradios et radio filmée.
Pour continuer à exister, la radio doit donc s’adapter aux changements d’habitudes et évoluer pour faire face aux nouveaux concurrents. Alors que les jeunes adultes ont une consommation sur écran accrue (smartphones, TV, ordinateur)(1), que peut leur offrir la radio ?

Évoluer pour continuer à exister

Helen Boade, et Cilla BenköHelen Boaden partage les inquiétudes du secteur concernant l’avenir de la radio : la directrice de BBC Radio et BBC England explique que l'audience radio de la BBC a baissé de 10 %, ce qui n’est pas le cas des radios commerciales britanniques. En tant que service public, la BBC se doit de rendre la culture accessible à tous, mais en même temps, elle est confrontée à la concurrence et, fait nouveau, une concurrence internationale, avec le succès des plateformes comme YouTube ou Spotify. Selon elle, « pour avoir un avenir, la radio doit être résistante », et pour cela, la BBC a un seul mantra : « Écouter, regarder, partager » En effet, la radio est devenue bien plus que de l'audio avec Instagram, Twitter ou encore Facebook. Elle doit donc développer des contenus « snackables », en particulier pour la radio parlée, afin d’être partagée facilement sur les réseaux sociaux, à grand renfort de titres chocs, et de contenus percutants.
 
 La radio, ce n'est pas que de la musique mais aussi du journalisme 
Face aux changements d’habitudes et aux évolutions technologiques, la BBC expérimente aussi. Elle développe actuellement un « Netflix de la radio » et vient de lancer BBC Music App . Pour conserver les audiences et en conquérir de nouvelles, Helen Boaden insiste également sur la nécessité d'être un diffuseur indépendant et non une « radio d'État » dont la ligne éditoriale serait décidée par des membres nommés par le gouvernement. La directrice de BBC radio ajoute « La radio, ce n'est pas que de la musique mais aussi du journalisme » contrairement aux plateformes musicales comme Spotify.
Mais la technologie ne fait pas que créer une nouvelle concurrence, elle a aussi du bon pour le média audio : l’essor des smartphones a permis celui des podcasts, développant une nouvelle écoute, en différé et à la demande. Si l’essentiel des audiences se fait toujours en voiture, l’écoute sur smartphone permet de toucher également d’autres usagers, dans les transports en commun ou encore dans la rue. Pour Cilla Benkö, directrice générale de Sveriges Radio (SR) il faut profiter de cette opportunité : désormais, la radio peut diffuser partout.

La technologie au service de la programmation et de la création

La radio s’empare aussi de la technologie  et en profite pour développer de nouveaux outils. Les données statistiques issues de l’écoute en ligne permettent quant à elles de proposer de nouveaux programmes ou services aux auditeurs. Nick Piggott (creative technologist, Royaume-Uni) avertit : «  nous avons tendance à surestimer les effets de la technologie sur le court terme et à les sous-estimer sur le long terme ». Si pour l’instant, nul ne mesure encore l’impact réel de la technologie sur la radio, startups et plateformes se sont emparées du big data pour étudier les audiences.
Pour la startup RadioAnalyser, le Big Data sert à infirmer ou confirmer des idées reçues : si des informations comme la météo ou le trafic automobile sont effectivement importantes pour les utilisateurs(2), pour les radios spécialisées dans les hits(3) il n'est pas nécessaire de diffuser en boucle les chansons qui figurent au top des audiences, parce que le public peut les écouter ailleurs. En revanche, elles peuvent continuer à les passer à l’antenne longtemps après le pic d'exposition. De même, s'il est vrai que la majeure partie de l'audience s’évapore une fois sortie de sa voiture, les données analysées par RadioAnalyser révèlent que les radios peuvent compter sur un rebond de l’écoute à 18h, sur smartphone cette fois-ci.
Pour Spotify, les données permettent surtout d’en savoir plus sur les habitudes et les humeurs des auditeurs, afin de leur proposer des contenus personnalisés à l’occasion d’évènements comme le Superbowl et même en fonction de la météo.
 
Du côté des stations de radio, l’innovation se met au service de l’auditeur, mais aussi des équipes de production. C’est ainsi que le service de recherche et développement de la BBC met au point des prototypes, comme celui créé pour The Archer, son feuilleton audio emblématique, qui facilite l’écriture des fictions et diminue les coûts de production. La BBC a mis aussi en ligne Home Front, un site expérimental autour des trois saisons de la série audio. Outre-Atlantique, Radio Canada a lancé un site responsive qui plutôt que des programmes, propose des contenus à la demande regroupés par thèmes.

Proposer des contenus qui fédèrent le public

 Ce n’est pas le big data qui permettra de découvrir le nouveau David Bowie  
Les contenus constituent un enjeu de taille pour attirer le public. En ce qui concerne la recommandation musicale, d’après Chris Price, directeur musical de Radio 1 (BBC) : « ce n’est pas le big data qui permettra de découvrir le nouveau David Bowie ». Selon lui, « les données ne sont pas mauvaises pour l’industrie mais elles le sont pour la culture ». Alors que pour la BBC, la programmation musicale se doit de refléter la scène locale dans sa diversité, il préconise d’opérer des choix par passion. C’est ainsi, que pour proposer régulièrement de nouveaux sons à ses auditeurs, Radio 1 met à jour ses playlists chaque vendredi.
Pour Cilla Benkö, il faut aussi se concentrer sur le contenu, et non pas sur la technologie, de manière à être considéré comme un guide de confiance pour l’auditoire. La directrice générale de Sveriges Radio pense aussi que les diffuseurs doivent également accorder beaucoup d'importance à la musique et se concentrer sur le cœur de métier : l'audio. D’après elle, ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas tirer avantage de la technologie : c’est une opportunité pour développer la radio à la demande et avoir une vraie stratégie pour les podcasts. Le renforcement de la présence des radios sur les réseaux sociaux est une stratégie nécessaire pour augmenter l'audience. Ceux-ci permettent aussi de transformer le public en ambassadeur de la station, quand les internautes y partagent les contenus diffusés par les radios.
 
Ulrik HaagerupPour proposer des contenus pertinents, il faut aussi travailler avec le public pour répondre à ses besoins. C’est le point de vue de Patrick Collins, directeur de l’audience jeunesse de la BBC qui en parlant des jeunes,  pose la question : « Pourquoi viendraient-ils à nous ? »
Pour Ulrik Haagerup, directeur de l’information de la radio publique danoise Danmarks Radio (DR), mettre à disposition des contenus qui suscitent l’intérêt du public, c’est aussi diffuser les actualités sous un angle constructif. Critiquant l’aspect négatif du traitement de l’information par les médias, ce dernier n’hésite pas à faire voler en éclats les dogmes journalistiques pour restaurer la confiance du public envers les journalistes, avec des résultats certains. DR atteint désormais 93 % des Danois avec ses programmes d’information, et la radio publique danoise est numéro 1 sur les supports mobiles.

L’audience des jeunes, un facteur d’inquiétude

Pour la plupart des intervenants, toucher un public jeune est crucial : si ceux-ci n’écoutent pas ou plus la radio, il y a peu de chances qu’ils deviennent des auditeurs assidus, une fois devenus adultes. Alors que la radio souffrait peu de la concurrence, le succès des réseaux sociaux et les plateformes de streaming musical auprès des jeunes change la donne.
C’est ainsi qu’en Grande-Bretagne, en dix ans, l’audience de la radio a baissé de 52 % chez les 12 – 15 ans et même si la consommation radiophonique demeure l’habitude d’écoute majoritaire pour l’ensemble des adultes, la radio est devancée par le streaming chez les 16 – 34 ans.
En Scandinavie, Tina Skov Gretlund et Lene Heiselberg, deux chercheuses de la radio danoise DR, ont conduit une étude sur la consommation des médias des jeunes. Si elles ont bien constaté une baisse massive des audiences TV chez les 13 – 19 ans (jusqu'à moins 32 % au Danemark), en radio, la tendance est à la stabilité, voire à une légère hausse, même si l’utilisation des plateformes de streaming musical est très populaire.
Les deux chercheuses ont ensuite détaillé les centres d’intérêts par tranches d’âge : les 13 – 19 ans s’intéressent d’abord aux jeux, puis aux réseaux sociaux, et enfin à la musique. À partir de 20 ans, les choses changent et les informations pratiques comme la météo ou les conditions de circulation prennent la tête du classement, suivies par les réseaux sociaux et les jeux. Enfin, à partir de 25 ans – l’arrivée dans la vie active ? – l’actualité et les informations pratiques sont prédominantes, reléguant le divertissement (réseaux sociaux et musique) en fin du classement.

De quoi rasséréner peut-être les diffuseurs radio : devenus adultes, les anciens fans de Youtubeurs se tournent vers des contenus plus « sérieux ». Avec l’âge de raison, reviendront-ils à la radio ? Bien malin qui pourrait le prédire avec certitude. 
 
 
Les données présentées dans cet article proviennent des contributions des intervenants de Radiodays Europe.

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Crédits photos :
On Air. Jody Sticca / Flickr. Licence CC BY-NC-ND 2.
Helen Boaden et Cilla Benkö, Radiodays Europe 2016. Pia Roussel / Ina
Ulrik Haagerup, Radiodays Europe 2016. Pia Roussel / Ina

 

(1)

Plus de 6 heures par jour en Scandinavie pour la tranche des 13 – 29 ans contre seulement 24 min d’écoute pour la radio.

(2)

D’après David Cooper, directeur des ventes de Spotify, 70 % des écoutes se font en voiture.

(3)

CHR Stations.  

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