Caracol Radio, une colombienne devenue espagnole

Caracol Radio, une colombienne devenue espagnole

Leader d'audience en Colombie, Caracol Radio s'est imposée comme référence incontournable en matière d'actualité et d'analyse politique grâce à une équipe de présentateurs reconnus et à des émissions alliant un mélange subtil d'information et d'humour.
Temps de lecture : 17 min

Caracol Radio est depuis 2004 une des filiales de la holding d’entreprises radiophoniques en Amérique latine du groupe espagnol Prisa. Il comprend les radios colombiennes du Grupo Latino de Radio (Groupe latino de radio), soit environ 172 stations et de nombreuses marques, dont La W, Caracol Radio, Tropicana Estéreo, Las 40 principales, Radioacktiva, Radio Recuerdos, Colorin Colorradio On Line, Oxigeno. La diversité des profils des radios, de leur contenus (information, musique contemporaine, populaire, pour les jeunes, émissions de divertissement) et de leurs publics-cibles (adultes, jeunes, enfants) fait de Caracol Radio le premier groupe de radio du pays. 

Caracol, la radio historique de la Colombie

La radio est créée le 2 août 1948 par un groupe d’entrepreneurs de Medellin, tout d’abord sous le nom de Voz de Antioquia. Ce n’est que plus tard qu’elle prend le nom de « Caracol » (escargot), qui vient du réseau dont elle fait partie, la Cadena Radial Colombiana (Réseau de radio colombienne). La Société Nuevo Mundo imagine un réseau de radios à portée nationale avec une série de stations dans chaque capitale de département du pays, diffusant une programmation nationale commune avec des émissions locales.

Aujourd’hui, avec plus de 9 millions d’auditeurs, Caracol est une des radios les plus importantes en Colombie et une des plus prestigieuses d’Amérique Latine. Elle est un des piliers de Prisa sur le marché latino-américain, autant pour son expérience professionnelle que par son rendement économique. Le slogan de Caracol est « Más compañia » (« Plus de compagnie ») et son profil informatif et généraliste vise l’ensemble de la population adulte.

La programmation est essentiellement constituée d’émissions d’information en semaine et  de segments musicaux le week-end. Parmi les émissions phares, « 6AM Hoy por Hoy », est présentée tous les jours par Dario Arizmendi entre 6h et 10h du matin. Cette émission d’information, qui existe depuis plus de 25 ans, a été depuis sa création une des plus écoutées du pays. En 1981, elle remportait la première place sur le créneau des journaux radio, avec 32 % d’audience(1).


À l’époque un des journalistes les plus importants du pays, Yamid Amat, met en place un « nouveau schéma de journalisme radiophonique »(2) : la réalisation d’entretiens simultanés en direct qui permettent la confrontation entre les interviewés, notamment politiques. Dario Arizmendi reprend et modernise le journal en 1991. Très influent, ce journaliste commence sa carrière dans la presse et fonde le journal El Mundo de Medellin. Le présentateur a reçu de nombreux prix, dont un notamment pour « Sa vie et son œuvre » attribué par le Cercle de Journalistes de Bogota pour ses « contributions au journalisme colombien ».

L’émission « d’humour sérieux », « La Luciérnaga » (La Luciole), existe depuis 1992. Dirigée par Hernan Pelaez, elle est une des émissions qui a assuré le succès de Caracol Radio. Diffusée tous les jours entre 17h et 20h, elle met en scène une série de personnages de fiction et des imitations des personnalités politiques ou d’actualité. Une revue satirique mais très complète des principaux événements de la journée ou des décisions politiques est réalisée. L’ancien président César Gaviria qualifie même l’émission comme étant une « des principales sources d’information » du pays.

D’autre part, « Las Voces del Secuestro » (Les Voix du Kidnapping), présentée par Herbin Hoyos Medina, est une des émissions qui a bénéficié de plus de reconnaissance au niveau international. Le journaliste donne la parole, tous les dimanches entre minuit et six heures du matin, à la famille et aux proches des otages des groupes armés en Colombie pour qu’ils puissent recevoir des messages en captivité. Enlevé par les FARC en 1994, Herbin Hoyos a démarré cette émission après sa libération par l’armée. L’émission a été le point de départ de la création d’une organisation internationale qui vise à coordonner la diffusion d’information sur les privés de liberté dans le monde. En 2008, Herbin Hoyos a reçu le prix au Meilleur journaliste de l’année, attribué par la Fondation Nuevo Periodismo Iberoamericano pour « service public rendu par son émission ». L’émission a été décrite par les personnes libérées comme étant leur « cordon ombilical » avec le monde.

L’année 2008 est faste pour Radio Caracol, qui reçoit quatre autres prix Simon Bolivar, dont celui de la Meilleure interview de l’année, attribuée à l’équipe de reporters de la radio pour l’entretien accordé par Clara Rojas après sa libération ou celui de la Meilleure émission radio d’opinion attribué à Nestor Morales pour son émission Hora 20.


En 2010, pour la 35ème édition du même concours, Caracol reçoit deux prix : Gustavo Gomez, directeur de 10 AM Hoy por Hoy, a reçu  celui de Meilleur journaliste de l’année, tandis que Alejandro Villegas et Rafael Pinilla obtiennent le prix de la Meilleure chronique pour leur reportage sur les 20 ans de la remise des armes de la guérilla M-19.

La W, la radio moderne et internationale

En 2003, le groupe Caracol décide de restructurer une de ses filiales, Caracol Estereo. S’inspirant de XEW, une des radios du réseau mexicain Radiopolis, dont 50 % est acquis par le groupe Prisa en 2001,  une toute nouvelle radio est créée en Colombie : La W. Avec 24h de programmation réalisée dans des studios situés à Bogota, Miami et Madrid, la radio offre différentes émissions d’information, d’interviews et de musique. La cible est adulte. La chaîne est très tournée vers l’actualité et fait intervenir de nombreuses personnalités. En Colombie, La W dispose de fréquences à Cali, Barranquilla, Bucaramanga, Armenia, Pereira, Cúcuta et Duitama.

L’émission la plus populaire est celle de Julio Sanchez Cristo (directeur de la radio), Alberto Casas et Felix de Bedout, qui porte le nom de la radio, « La W », diffusée tous les jours entre 5h et 13h depuis 1996. L’audience de cette émission est estimée à plus de 600 000 personnes par jour, dont 500 000 en Colombie,  le reste se répartissant entre les États-Unis, le Panama, l’Equateur, le Mexique et l’Espagne. Elle dispose d’une équipe de 34 journalistes, dont 16 personnes à Bogota, 3 dans le reste du pays, 3 aux États-Unis, 5 en Espagne, un à Londres, un à Paris, un à Caracas et un autre à Jérusalem. La radio reçoit environ 200 appels par jour mais seulement 100 sont passés à l’antenne.

Les radios musicales, records d’audience

En plus des radios informatives, Caracol Radio a plusieurs réseaux de radios musicales. Parmi les plus importants : Las 40 principales. Cette radio, créée en Espagne en 1966, est internationalisée par Prisa en 2000 dans plusieurs pays latino-américains, dont la Colombie, comme partie du Grupo Latino de Radio. Avec un profil contemporain, son attrait majeur pour l’audience vient de la diffusion hebdomadaire des 40 chansons les plus populaires du marché, dans les genres pop-rock latino, rock classique, ou musiques du monde. Aujourd’hui, elle est présente dans neuf pays. D’autre part, Tropicana est un réseau musical typiquement colombien. Disposant de 25 stations réparties sur tout le territoire, il remporte souvent la première place dans les sondages d’audience du pays toutes catégories confondues. Il diffuse surtout de la musique tropicale.


Outre les radios décrites, qui sont les principales du groupe, d’autres réseaux font partie de Caracol : Radioacktiva (profil jeune et rock), Besame (musique pop latino romantique, féminine, 25- 40 ans), Colorin Colorradio (enfants et musique), La Vallenata (musique colombienne), Oxigeno (jeune, musicale et populaire), HJCK (musicale privilégiant les rythmes du blues, jazz, bossa nova ou son cubano) ou Radio Recuerdos (musique populaire sur fréquence AM).

Caracol à l’international

Avant de se faire racheter par le groupe Prisa, Caracol avait une expérience à l’international, développée pendant les années 1990. La population hispanophone des États-Unis représentait le marché majeur à atteindre, ce que Caracol commence à faire en louant des segments de programme dans une radio à Miami, avant d’acquérir sa propre fréquence (WSUA 1260 AM) en 1995. Presque en même temps, Caracol fournit des émissions au Consortium Radiophonique Finisima AM au Chili. Quelques années plus tard, il achète deux réseaux musicaux : Radioactiva (25 stations) et Radioamistad (9 stations) et créé un troisième système, Caracol Musica (3 stations). Finalement, Caracol investit en 1992 à Paris, en achetant des parts de Radio Latina.

Suite au partenariat établi avec Prisa, puis au rachat de Caracol Radio par le groupe espagnol, les radios à l’étranger de Caracol deviennent partie du Grupo Latino de Radio  et sont restructurées, comme dans le cas des réseaux de radios chiliennes, devenus des déclinaisons des marques La W, Besame, Radio Activa et Los 40 principales. WSUA 1260 AM est aujourd’hui Caracol 1260 AM et rencontre un franc succès auprès de la population hispanophone. La radio retransmet essentiellement la même programmation que la radio W. En ce qui concerne la radio parisienne, elle a fait partie de Prisa jusqu’en janvier 2007, date où le CSA a approuvé l’acquisition de la station musicale par le groupe français Start.

Expansion d’une marque très colombienne

Depuis sa création en 1948, Caracol Radio est passée par plusieurs étapes de développement, marquées chacune par des actionnaires particuliers. Au départ, c’est un groupe d’entrepreneurs et de politiques colombiens reconnus, qui fonde la Cadena Radial Colombiana SA à Medellin, à partir de la radio La Voz de Antioquia. Parmi les propriétaires importants, Humberto Restrepo Arango, William Gil Sanchez, Fernando Londono Henao, Alfonso Lopez Michelsen (Président de la République entre 1974 et 1978) et Carlos Sanz de Santamaria. Cette première étape, qui va jusqu’en 1987, est marquée par l’expansion rapide de Caracol Radio à l’intérieur du pays. En 1952, le réseau compte déjà 12 stations, notamment dans les principales villes. Ces années sont celles de l’amélioration des techniques de diffusion et de mise en place d’une grille de programmation originale. Un des formats radiophoniques les plus populaires est celui de « Radio-Reloj » (Radio-Horloge, alternant morceau de musique, publicité et rappel de l’heure exacte).

La première station commerciale à diffuser sur la bande FM en Colombie est Radio Caracol en 1971(3). Caracol réalise des investissements dans d’autres secteurs d’activité pendant les années 60 et 70 : construction et urbanisme, engrais, véhicules, agences de publicité,  banques, assurances, acier, etc. Mais l’investissement le plus important pour le groupe est dans le secteur de l’audiovisuel avec la création de la chaîne Caracol Télévision en 1967. Le groupe est obligé de se défaire de la majeure partie de ses entreprises à la fin des années 1970 suite au contexte économique défavorable, notamment dans le marché publicitaire(4).

Caracol sous contrôle de la plus grande entreprise de bière du pays

En 1986, Caracol Radio subit d’importantes difficultés en raison d’une crise avec le personnel de l’entreprise qui donne lieu à une grève de 47 jours. Lorsqu’une solution est finalement trouvée, le déficit de trésorerie est important. Une partie de l’actionnariat (qui représente 55 % du capital social) refuse de recapitaliser l’entreprise et décide de vendre ses parts. Celles-ci sont alors rachetées en 1987 par le groupe Empresarial Bavaria, propriété de l’entrepreneur Julio Mario Santo Domingo. Homme le plus riche de Colombie et 108ème fortune mondiale selon le magazine Forbes en 2011, son patrimoine est estimée à 6 000 millions de dollars. À cette époque, il dirige un groupe dont les activités diversifiées sont florissantes, notamment dans le marché de la bière (Bavaria), dans l’aviation (Avianca) et dans la presse (journal El Espectador). Le groupe Bavaria consolide la marque Caracol et poursuit son développement. En 1998, alors que Caracol Radio fête son 50ème anniversaire, le réseau dispose de 236 stations de radio, divisées en quatre groupes de réseaux radiophoniques en Colombie et à l’étranger. Le groupe possède 182 stations en Colombie (113 propres et 69 affiliées) et 54 stations à l’étranger (au Chili, en France et aux États-Unis)(5).

En 1997, afin de clarifier son organisation et de permettre à Bavaria de se concentrer sur le secteur de la bière et des boissons, Valores Bavaria (aujourd’hui Valorem) est crée suite à la scission du groupe. Ceci est important pour Caracol Radio car Valores Bavaria concentre à partir de ce moment les activités médiatiques du groupe et trois des principaux médias du pays : El Espectador (presse), radio (Caracol Radio), télévision (Canal Caracol).

L’entrée du capital étranger et un rachat douloureux

 En 1999, Valores Bavaria commence à réaliser des accords avec le groupe Prisa, qui achète 19 % de Caracol Radio dans le but de créer un réseau latino-américain de radiodiffusion à long terme. En 2002, Prisa et Bavaria deviennent partenaires dans la holding Grupo Latino de Radio SL. Celle-ci regroupe la totalité des actions de radio de Valores Bavaria en Colombie, en France, aux États-Unis et au Chili, ainsi que les radios de Prisa en Amérique Latine.

Prisa possède dorénavant 60 % de la holding, ce qui signifie que Caracol passe sous son contrôle.  Cette entrée d’un groupe étranger dans le capital d’un des principaux médias colombiens n’est pas reçue très favorablement dans le pays. D’autant plus que peu de temps après l’annonce de l’accord, les journaux révèlent les détails des négociations : la position dominante de Prisa est le produit du mauvais calcul de Bavaria en 1999, qui est alors en grande difficulté. Dans le contrat initial, une clause établissait qu’une évaluation de la valeur de la société devait être réalisée par une banque d’investissement trois ans après l’entrée de Prisa : si les résultats démontraient que Caracol valait plus de 70 millions de dollars, alors Valores Bavaria déterminerait la suite des opérations. Mais si la société était chiffrée à moins de 58 millions de dollars, alors Prisa prendrait le contrôle, ce qui est effectivement arrivé.

Le marché publicitaire ayant subi une forte crise, la valeur de Caracol a chuté de 140 millions de dollars en 1999 à 45 millions en 2002. Les profits, qui étaient de 15 087 millions de pesos colombiens en 1998, sont passés à 2 800 millions en 1999 puis à des pertes de 11 005 millions en 2002.  Cette année-la, Caracol Radio émet une série d’actions ordinaires qui sont réparties parmi ses propriétaires. Ceci permet une recapitalisation pour un montant de 27. 786 millions de pesos colombiens et une réduction du niveau de la dette du réseau de 71 % à 41 %.

Mais en 2004, le groupe Bavaria procède à de nouvelles restructurations qui ont pour but d’assainir ses finances. Valores Bavaria termine le premier semestre de l’année 2004 avec des recettes de 1 548 millions de pesos colombiens contre 98 914 millions l’année précédente. Les pertes s’élèvent à 17 045 millions de pesos.  Afin de trouver une issue à la crise, elle se donne une nouvelle image et devient « Valorem ». Le groupe Bavaria revend pendant cette période de nombreux fleurons de son activité à des entreprises étrangères y compris des symboles de la nation colombienne telles que la compagnie aérienne Avianca.

Caracol Radio fait partie de ce paquet d’entreprises qui sont bradées car plus assez rentables. Valorem vend en 2004 les 17 % de parts d’actionnariat qui lui restent dans le GLR SL. Caracol Radio cesse d’avoir des liens avec Caracol TV mais Bavaria garde le contrôle de la chaîne de télévision en meilleure forme financière. Malgré un changement de logo,  Bavaria et Prisa arrivent à un accord pour garder la même marque qui bénéficie d’un fort degré de notoriété parmi la population. Les dirigeants de Bavaria et de Caracol TV admettent plus tard leurs regrets de s’être séparés de Caracol Radio.

Caracol sous Prisa

Prisa est le premier groupe de communications en Espagne, numéro un en production et distribution de contenus en espagnol, dans plus de 22 pays au monde, et compte plus de 50 millions d’usagers avec des marques globales. Son activité est divisée en quatre secteurs : édition et éducation, presse, audiovisuel, radio (Cadena SER et GLR). Depuis 2000, Prisa investit de manière accélérée en Amérique latine.  En 2001, 25 % des recettes totales de Prisa viennent de ses opérations internationales concentrées dans la région. En 2011, Prisa est présent dans 13 pays latino-américains. Le but final du groupe à long terme est de mettre en place un plan stratégique d’investissement pour devenir le premier groupe de communication en espagnol et en portugais. Objectif atteint en 2006 dans le secteur de la radio avec le regroupement des participations radiales aux États-Unis et en Amérique latine sous une même entité, la Unidad de Radio ou Prisa Radio.

La division Prisa Radio est détenue à 80 % par Prisa et à 20 % par le groupe Godo. Cette division dispose de plus de 1200 radios (propres, avec des participations ou associées) en Amérique latine, en Espagne et aux États-Unis, ce qui représente environ 26 millions d’auditeurs. En 2009, elle a enregistré des bénéfices de 377 millions d’euros pour un Ebitda(6) de 103 millions d’euros. La stratégie de développement est celle des marques globales, comme Las 40 principales ou La W, même si elle gère environ 30 formats de radio différents. Les salariés pour l’Espagne et l’Amérique latine sont estimés à 3000 personnes.

En 2008, Prisa Radio signe un accord avec le fond d’investissement britannique 3i, afin de développer le réseau de radios en Amérique Latine  principalement sur le marché hispanophone des États-Unis. La participation de 3i correspond à 8,14 % du capital social de Prisa Radio, les deux autres actionnaires disposant de 73,49 % dans le cas de Prisa et 18,37 % pour le groupe Godo. L’objectif final est que 3i augmente sa participation jusqu’à atteindre les 16,63 %, en réalisant des augmentations de capital successives pour un investissement total de 225 millions d’euros.


Caracol dans le groupe Prisa

 
Caracol fait maintenant partie d’un grand réseau latino-américain qui a une importance mondiale et les apports financiers au début des années 2000 ont permis d’assainir les finances du groupe colombien. Le rachat de Caracol par Prisa a eu des conséquences ambigües pour celle qui n’est dorénavant qu’une filiale colombienne.

Prisa : un actionnaire transnational en difficultés financières

Mais la nouvelle organisation a aussi impliqué un changement important dans la gestion du réseau colombien, l’équipe de direction étant plutôt en Espagne qu’en Colombie. Caracol Radio a perdu une part de son indépendance ce que certains « anciens » de la radio regrettent, comme le journaliste Hernan Pelaez de l’émission « La Luciérnaga ». En mars 2011, le nouveau directeur espagnol de Caracol Radio, Alfonso Francisco Dolo, fait des remarques sur l’équipe de production, estimant que les journalistes de plus de 60 ans devraient partir à la retraite. La réaction de Hernan Pelaez, qui travaille avec Caracol Radio depuis plus de 40 ans, ne se fait pas attendre : il déclare lors d’une interview que  « ceux qui savaient faire de la radio à Caracol, c’étaient les premiers propriétaires (…) les "bavares" savaient faire de la bière, et les nouveaux ne sont intéressés que par les chiffres ». Certaines frictions se font donc sentir auprès du personnel de Caracol qui a du mal à s’habituer au style de direction et qui considère que les finances laissent à désirer.

En effet, le groupe Prisa est confronté à la crise et à d’importantes difficultés financières dès 2008, causées entre autres par la baisse de 88 % de son action et par des pertes dans ses revenus publicitaires et de la diffusion des journaux papier. Ceci a conduit le groupe à suspendre le paiement des dividendes des actionnaires et a poussé le directeur du secteur audiovisuel, Javier Diez Polanco à démissionner. Le groupe passe de 3209 millions d’euros de revenus d’exploitation en 2009 à 2823 millions en 2010 et d’un Ebitda de 624 millions d’euros en 2009, à 596 millions en 2010. Un plan de restructuration financière est mis en place en 2010 afin d’assainir les finances et d’alléger la dette du groupe. Il maintient le périmètre de consolidation et le contrôle de ses entreprises, augmente ses dotations en capital et réussit à avoir un résultat net de -72,87 millions d’euros. Le plan de restructuration envisage de réduire de 18 % la quantité de personnel, soit 2000 personnes en Espagne, 500 au Portugal et dans les Amériques. Sur les 2500 personnes, 649 dans le secteur radio, soit 21 % de l’ensemble du personnel du secteur radio. Une deuxième phase de licenciements n’est pas écartée pour 2012.

Un concurrent majeur : RCN

Le concurrent historique direct de Caracol Radio en Colombie est RCN (Radio Cadena Nacional). Créée aussi en 1948 à Bogota sous le même modèle que Caracol (une radio généraliste à dominante informative  imaginée par un groupe d’entrepreneurs qui cherchaient à positionner la publicité de leurs produits), elle appartient aujourd’hui au groupe Ardila Lülle, un des quatre groupes les plus importants du pays (tout comme le groupe Bavaria). En 1972, la marque RCN est aussi déclinée sous la forme d’une chaîne de télévision. Aujourd’hui, contrairement au cas de Caracol, les deux médias appartiennent au même groupe.

Principaux réseaux radiophoniques du pays et positionnés sur le même marché, RCN et Caracol dominent celui-ci et se sont construits en miroir,  à l’image des deux villes (Bogota et Medellin) où ces radios sont nées, les centres économiques du pays. Certains locuteurs, journalistes, humoristes, ont déjà travaillé pour les deux réseaux. Le groupe RCN possède une série de radios dont les différents profils concurrencent directement les radios de Caracol : La Mega, Rumba Estereo, La FM, Amor Stereo, Radio Fantastica, Radio Uno, Antena 2, la Carinosa, El Sol, Fiesta et des fréquences aux États-Unis et sur Internet. La concurrence a longtemps porté sur la créativité des formats : en 1951, Fernando Arango propose son script de radionovela (feuilleton) aux deux radios. Les conditions proposées par Caracol pour sa diffusion étant meilleures, c’est cette radio qui remporte la mise. Le feuilleton El derecho de nacer (Le droit de naître) est un des succès d’audience les plus importants de l’époque(7).

Sources chiffres : ECAR1 2011

Aujourd’hui Caracol domine le marché colombien, avec environ 9 174 700  auditeurs en février 2011, selon l’analyse annuelle réalisée par l’Étude Continue d’Audience Radiophonique (ECAR1 2011). Le réseau Caracol dispose de 10 marques dans le top dix des radios du pays. L’émission « 6AM Hoy por Hoy » présentée par Dario Arizmendi est la plus écoutée dans tout le pays, suivie par « La W » de Julio Sanchez Cristo, ce qui donne à Caracol 64 % d’audience dans le segment informatif.  Selon cette même étude, Caracol aurait 3 millions d’auditeurs de plus que RCN. D’autres réseaux mineurs, tels que Todelar ou Olimpica, concurrencent aussi Caracol mais malgré les succès d’audience de certaines radios musicales telles que Olimpica Estereo, leur influence n’est pas comparable à celle des deux groupes majoritaires.

Des liens ambigus avec la politique

Historiquement, Caracol Radio a été lié au Parti libéral, un des deux partis les plus anciens et importants de la Colombie. Le groupe d’entrepreneurs qui a participé à la création de la radio dans les années 1940 était de filiation libérale et un de ses buts affichés était de créer un radio-journal politique pour défendre ses idées (ce qui n’a jamais pu être réellement fait en raison des restrictions normatives de l’époque). Parmi ces entrepreneurs, on compte Alfonso Lopez Pumarejo (président à deux reprises) et son fils Alfonso Lopez Michelsen (président pendant les années 1970). Même si ces deux politiques se retirent des activités de la radio pendant le mandat de Lopez Michelsen et que la radio garde une ligne éditoriale assez neutre, leur  influence sur la radio existe jusqu’à sa vente au groupe Prisa à la fin des années 1990. Le propriétaire du groupe Bavaria, Julio Mario Santo Domingo, se réclame aussi du Parti libéral.

En 1990, un des plus importants journalistes de Caracol Radio et de l’histoire colombienne, Yamid Amat, ami proche de Lopez Michelsen, se retrouve dans un conflit d’allégeances : alors qu’il est le directeur du pôle informatif, la radio diffuse en son absence un article éditorial très critique envers le président, paru dans le journal El Espectador. Mal à l’aise et en désaccord avec le président de la chaîne Ricardo Alarcon, Yamid Amat préfère démissionner, coupant court à son ascension dans la radio et freinant considérablement sa carrière professionnelle. En 2001, un autre différend oppose un des journalistes de « La Luciernaga », Edgar Artunduaga au gouvernement en raison des critiques ouvertes faites par le journaliste à l’encontre du président Pastrana (du parti conservateur). Artunduaga finit par démissionner en  accusant le gouvernement de faire pression pour le forcer à partir, ce qui déclenche un tollé.

Une cible des groupes armés en Colombie

Le 12 août 2010, à 5h30 du matin, un attentat à la voiture piégée se produit en plein cœur de Bogota, devant le bâtiment qui héberge, entre d’autres bureaux, ceux de Caracol Radio, de la W et de l’agence d’information EFE. L’attentat a produit d’importants dégâts matériels sur 100 mètres autour du lieu de l’explosion et neuf blessés légers. Lors de l’explosion, le présentateur Dario Arizmendi et son équipe de production se trouvaient sur les lieux en train de préparer l’émission « 6 AM Hoy por hoy », et commentent le drame quelques minutes après. L’heure matinale à laquelle s’est produit l’attentat suggère que l’objectif était d’intimider la population et les autorités de la ville sans causer de victimes, la circulation dans cette zone étant particulièrement dense pendant le reste de la journée. L’émotion dans la ville et dans le reste du pays a été très grande car il s’agit du premier attentat à se produire dans la capitale depuis 2003. Même s’il n’a donné lieu à aucune revendication de la part des groupes armés colombiens, la responsabilité de « l’étrange attentat » a été attribuée aux FARC (Forces Armées Révolutionnaires de la Colombie) par le président Juan Manuel Santos qui n’avait pris ses fonctions que depuis cinq jours. En son sens, le but des FARC était de « continuer la tradition de faire leurs adieux à un gouvernement et de recevoir le suivant avec des actes de terrorisme ». Plusieurs guerilleros soupçonnés d’avoir participé à l’attentat ont été arrêtés en mai 2011.


Peu de preuves permettent de savoir si les bureaux de Caracol Radio étaient particulièrement visés. En revanche, le choix du lieu et de l’heure de l’explosion (juste avant une des émissions les plus écoutées par la population colombienne, présentée par un des animateurs les plus importants du pays) ne sont pas dus au hasard.  Ce n’est pas non plus de la première fois que les journalistes de Caracol Radio sont la cible des attaques des groupes armés. Parmi les journalistes menacés, plusieurs ont choisi de s’exiler pendant un certain temps du pays tout en continuant à diffuser leur émission à distance. Parmi ceux-ci, Dario Arizmendi, qui s’expatrie aux États-Unis en 2007, ou Herbin Hoyos, présentateur de l’émission « Voces del Secuestro » qui part se réfugier en Europe à plusieurs reprises.

Malgré la grande notoriété de la marque, un avenir flou

Malgré les difficultés financières et de gestion qu’a connues Caracol Radio pendant les quinze dernières années, sa grande force réside dans la notoriété et le prestige de la marque, autant en Colombie qu’à l’international. Cependant, la qualité du journalisme réalisé par les radios informatives de Caracol ou le succès des radios musicales dépend de la santé financière du groupe Prisa. Ses récentes fragilités l’ont sûrement empêché de réaliser de nouveaux investissements qui permettraient de garder la motivation des équipes de journalistes intacte et d’éviter les départs chez la concurrence. Un des défis de Prisa en Colombie est donc de trouver un point d’entente avec ses journalistes nationaux, notamment avec ceux qui ont de longues trajectoires au sein de la radio et qui restent ceux qui assurent les résultats d’audience les plus importants.

Cherchant à s’étendre dans d’autres marchés médiatiques en Colombie, comme la presse écrite ou la télévision, Prisa s’est retrouvé face à un autre concurrent espagnol de taille : le groupe Planeta. Celui-ci a raflé la mise une première fois en 2007, en acquérant une part majoritaire des actions du journal le plus important du pays, El Tiempo. Ensuite, Prisa s’est vu une  nouvelle fois confrontée à El Planeta lors de l’appel d’offres pour la troisième chaîne de télévision privée en Colombie début 2008. Un autre concurrent, vénézuélien cette fois-ci, est venu se joindre au concours, le groupe Cisneros. Finalement, Prisa comme Cisneros se sont retirés de l’interminable processus d’attribution en 2010, en accusant la Commission nationale de télévision colombienne de favoritisme envers le groupe Planeta.

Face à ces échecs, qui frustrent les projets d’expansion de Prisa en Colombie, une stratégie qui pouvait se révéler payante était de se réconcilier avec son ancien partenaire, le groupe Bavaria. En effet, ce dernier possède toujours une des deux plus grandes chaînes de télévision privée (Caracol Télévision) et un des journaux les plus prestigieux (El Espectador) du pays. Alejandro Santodomingo (fils de Julio Mario et nouveau président du Groupe Bavaria) affirme aujourd’hui qu’une de ses priorités est de trouver des alternatives pour revenir sur le marché de la radio. Mais devant les problèmes de leadership qu’affronte Prisa aujourd’hui, la perte partielle du contrôle sur ses marques phares (éditions Santillana) et l’entrée d’un nouvel actionnaire majoritaire (le fond d’investissements Liberty) au sein du capital, le groupe risque d’avoir d’autres priorités que celle de faire de la diplomatie auprès de la grande famille des Santodomingo.

Chiffres clés

- Actionnariat : groupe Prisa  70,1 %, actionnaires minoritaires 29,9 %
- Audiences (toutes radios confondues) : 39,5 %, soit 9 174 700  auditeurs en février 2011
- Pénétration sur le territoire colombien : 78,2 %
- Profits 2010 : 32 804 millions de pesos colombiens (17,3 millions de dollars)
- Profits 2009 : 19 008 millions de pesos colombiens
- Croissance 2009-2010 : 72,6 %
- Actifs de la compagnie 2010 : 201 825 millions de pesos (106,6 millions de dollars)
- Ebitda : 31,1 %
- Endettement : aucun

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Crédits photos :
- Image principale : immeuble Caracol Radio Julian Ortega Martinez - Flickr
- Logo Caracol Radio
- Capture d'écran 6AM Hoy por hoy
- Clara Rojas ¡Que comunismo! - Flickr
- Logo La W
- Montage des logos des différentes radios musicales du réseau Caracol Radio
- Logo Prisa
- Logo Grupo Latino de Radio
- Attentat contre Caracol Radio le 12 août 2012 eltiempo.com - Flickr

(1)

Perez Angel, Gustavo ; Castellanos, Nelson, "La Radio del Tercer Milenio, Caracol 50 años", Editorial Nomos SA, Bogota, 1998, p. 139.

(2)

Ibidem, p.139. 

(3)

Perez Angel et Castellanos, ibidem, p.144.

(4)

Ibidem, p. 148. 

(5)

Ibidem, p. 167. 

(6)

Ebitda : acronyme anglais (Earnings before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization) couramment utilisé pour designer les bénéfices obtenus avant déduction des charges financières, des impôts, des provisions et des amortissements. 

(7)

Perez Angel et Castellanos, ibidem, p. 114-115. 

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