Le groupe Yomiuri : stratégie de diversification et de développement national
Les groupes de presse au Japon sont sans commune mesure avec ceux des autres pays industrialisés. Ce sont des conglomérats qui se sont formés grâce aux possibilités offertes par la législation relative à la presse (1947) qui interdit aux groupes industriels d’acquérir un journal mais n’empêche en rien la constitution d’un groupe médiatique à partir d’un quotidien. Ces conglomérats combinent presse quotidienne, hebdomadaire, chaine de télévision et activités culturelles diverses. Le groupe Yomiuri possède ainsi la chaîne Nihon terebi (NTV), la maison d’édition Chuôkôron-Shinsha, le quotidien sportif Hôchi Shimbun, le parc d’attraction Yomiuri Land, deux fondations, une université, un centre commercial et un orchestre symphonique. Mais surtout, il possède une équipe de baseball légendaire, les Yomiuri Giants de Tôkyô, première équipe professionnelle fondée en 1934 par Matsutarô Shôriki. La croissance exceptionnelle du Yomiuri dans l’après-guerre, qui passe en 1977 à la première place devant le Asahi Shimbun et le Mainichi Shimbun, s’appuie sur l’écrasante domination de cette équipe de baseball. Se basant sur ce modèle, de nombreuses sociétés ont acheté leur propre équipe. C’est le cas par exemple de la société Seibu, appartenant à Tsutsumi Yoshiaki, avec l’équipe des Seibu Lions ou plus récemment de la banque SoftBank qui a acheté l’équipe des Hawks de Fukuoka.
Il existe trois avantages de posséder une équipe de baseball. En premier lieu, chaque victoire des Yomiuri Giants garantit, à peu de frais, une immense campagne de publicité pour le titre. De plus, l’investissement dans cette équipe permet au groupe Yomiuri de défiscaliser une partie de ses revenus. Mais surtout, les Yomiuri Giants ont permis au groupe de s’enrichir, d’autant plus que NTV, la chaîne du groupe, possède les droits de diffusion des matchs. C’est en s’appuyant sur les profits générés par cette équipe que le Yomiuri a pu réaliser son objectif : se développer hors de Tôkyô, à l’échelle nationale.
En 1952, le groupe crée le quotidien Ôsaka Yomiuri Shimbun, première étape dans sa conquête de l’Ouest. Tout un symbole, car Ôsaka est le fief de ses deux principaux concurrents, le Asahi Shimbun et le Mainichi Shimbun. L’implantation sur l’île de Kyûshû, avec l’édition de l’Ouest Seibu Yomiuri Shimbun vient compléter par la suite ce développement national. Un important réseau de vendeurs est par ailleurs créé à travers tout l’Archipel. Le Yomiuri emploie une stratégie de commercialisation fondée sur la vente au porte-à-porte et des offres promotionnelles. Par exemple, il arrive que les vendeurs offrent des billets gratuits pour les matchs des Yomiuri Giants, en échange d’un abonnement au quotidien.
L’abonnement à un journal est une institution au Japon et 94 % des lecteurs du
Yomiuri Shimbun sont des abonnés. Cet engouement pour l’abonnement s’explique par la garantie du service de portage à domicile avant six heures du matin que proposent tous les quotidiens japonais. Pour que cela soit possible, le
Yomiuri Shimbun dispose de 29 imprimeries réparties sur tout le territoire et possède son propre réseau de distribution. Une véritable machine de guerre mise en place pour répondre à un seul objectif : avoir la plus grande diffusion au Japon et dans le monde. Un
message du président du groupe Yomiuri, Tsuneo Watanabe, est à cet égard très évocateur. Alors que le journal fête en 2004 ses 130 ans, il explique en introduction que toutes les sociétés du groupe doivent être unies « pour maintenir le tirage quotidien à plus de 10 millions d’exemplaires ». Eleanor Westney parle à ce propos d’une « stratégie centrée sur la diffusion » (
circulation-focused strategy).