Pauline Moullot : « Le journalisme ne se réduit pas au fact-checking»

Pauline Moullot : « Le journalisme ne se réduit pas au fact-checking »

Fake news, post-vérité, faits alternatifs : ces nouveaux termes fleurissent pour désigner le phénomène de propagation de fausses nouvelles mis en évidence par le Brexit et l’élection de Donald Trump. Avec quel impact sur le travail des journalistes ? Entretien avec Pauline Moullot.

Temps de lecture : 3 min

 

Pauline Moullot est journaliste à la rubrique « Désintox » de Libération.

 

 

Que vous inspirent les termes de  « fake news », de « post vérité » ou de « alternative fact »?

 

Pauline Moullot :

Ils m’inspirent, en ce moment, un peu de saturation : on n’entend parler que de cela, surtout depuis novembre. C’est vrai qu’il faut se poser des questions, se demander à quel point ces fake news ont influencé la campagne – et la victoire – de Donald Trump, le Brexit, de savoir si les journalistes sont dans leur bulle et passent à côté de tout un pan de l’information qui est fausse, qui est manipulée, mais je pense qu’on leur donne quand même trop d’importance.

 Pourquoi y-a-t-il des lecteurs qui sont prêts à faire davantage confiance aux « médias alternatifs », plutôt qu’aux médias traditionnels ? 

Le terme fake news est employé à toutes les sauces, et on est prompts à les accuser de tous les maux. Nous devrions plutôt réfléchir à nos pratiques, à la façon dont on produit l’information et aux raisons pour lesquelles les fake news trouvent un écho… Pourquoi y-a-t-il des lecteurs qui sont prêts à faire davantage confiance aux « médias alternatifs », selon les mots de Marine Le Pen, plutôt qu’aux médias traditionnels ? C’est un vrai sujet.

 

 

Combien êtes-vous au sein de la rubrique « Désintox », et comment choisissez-vous les sujets que vous allez traiter ?

 

Pauline Moullot : En temps normal nous sommes trois, mais avec la campagne l’équipe a été renforcée, nous sommes donc quatre actuellement. Comme nous nous concentrons principalement sur les déclarations politiques, nous écoutons beaucoup d’émissions – pas toutes parce que c’est compliqué  – mais le plus possible. Lorsque des affirmations nous semblent bizarres, on en discute, on essaye de regarder si c’est vrai ou faux et, surtout, on les traite quand on sent que l’assertion révèle quelque chose de la société ou des débats publics à ce moment-là. Ce n’est pas juste une question de chiffres.

 

 

Constatez-vous des stratégies d’évitement – rester vague, éviter de donner des chiffres, etc.– de la part des responsables politiques, pour éviter d’être la cible de «  fact checkeurs » ?

 

Pauline Moullot :

Je ne sais pas si c’est délibéré, pour éviter d’être la cible de fact checkeurs, mais on constate que les discours de certains politiques sont faits de telle sorte qu’ils sont beaucoup plus difficiles à vérifier avec des faits tangibles.

 Les discours de certains politiques sont faits de telle sorte qu’ils sont beaucoup plus difficiles à vérifier avec des faits tangibles  

 

 

 

La rubrique Désintox existe depuis 2008. Votre façon de faire du fact checking a-t-elle évolué ?

 

Pauline Moullot : Au début notre activité était uniquement sur la politique. Ensuite, mais c’est plutôt récent, nous avons commencé à faire un petit peu de non-politique, de hoax, et aussi plus d’international. Et nous avons commencé à faire de la vidéo à la rentrée 2012.

 

 

Les lecteurs de Libération ont-ils des réactions particulières vis-à-vis des articles de fact checking ? Les partagent-ils davantage que les autres articles ?

 

Pauline Moullot : Les articles de Désintox sont en général beaucoup lus, oui.

 

 

Les articles de fact checking ne touchent-ils que ceux qui sont déjà convaincus que telle ou telle personne politique ment ?

 

Pauline Moullot : Je pense que c’est vrai pour une partie des lecteurs, mais il existe toute une partie de lecteurs qu’on n’entend pas, qui ne sont pas spécialement convaincus a priori et qui, grâce à des articles de fact checking, et à d’autres articles en général, vont avoir des réponses, et des arguments, à des questions qu’ils se posent et qu’ils ne peuvent pas poser.

 

 

Des critiques d’ordre différent sont parfois adressées au fact checking : « cache-misère » du manque de vérification par ailleurs, partialité dans le choix des sujet ou personnes « fact checkées », prétention à dire le vrai, etc. Qu’en pensez-vous ?

 

Pauline Moullot : Certaines critiques sont constructives, mais il ne faut pas oublier que le journalisme ne se réduit pas au fact checking, et heureusement. C’est juste un genre journalistique, complémentaire de ce qu’on peut lire dans les autres rubriques. Quant au reproche selon lequel on prétendrait dire le vrai, ce n’est pas tant une question de vrai que de rappeler des faits. Et des faits qui sont tangibles, donc sur lesquels on peut s’appuyer pour éclairer le débat public. Et ce n’est pas un cache-misère du journalisme. C’est quelque chose qui s’ajoute à ce qu’on peut lire dans d’autres pages, des pages enquêtes, des pages décryptage, c’est quelque chose en plus !

 

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