Un marché dynamique dominé par le Sun
Les tabloïds britanniques illustrent au premier chef la vitalité exceptionnelle de la presse écrite britannique.
En 2010, la presse tabloïde compte en effet pas moins de six quotidiens (populaires : Daily Mirror, Daily Record, Daily Star et The Sun ; ou de moyenne gamme (mid market) : Daily Express, Daily Mail) et huit hebdomadaires du week-end (populaires : Daily Star Sunday, News of the World, Sunday Mail, Sunday Mirror, The People ; de moyenne gamme : Sunday Express, Sunday Post, The Mail on Sunday).
Six de ses titres bénéficient de diffusions millionnaires, voire multimillionnaires. Leur leader, The Sun est le quotidien anglophone qui détient la plus forte diffusion au monde, et le dixième mondial, toutes langues confondues.
En nombre d’exemplaires écoulés, il se classe juste derrière le tabloïd dominical News of the World, également propriété de News International, filiale du géant mondial News Corp dirigé par le magnat australien Rupert Murdoch. En 2010, le Sun et News of the World oscillent tous deux autour de la barre des trois millions d’exemplaires de diffusion et le Sun revendique plus de huit millions de lecteurs.
À eux quatre, les journaux populaires du matin représentent les 5/6èmes de la diffusion des quotidiens britanniques qui engrangent quant à eux 67% des recettes totales de la presse nationale en 2008.
Aussi est-ce bien souvent par le succès commercial des tabloïds que l’on explique le dynamisme exceptionnel de la presse écrite britannique, dont le chiffre d’affaires connaît une progression annuelle de 6,9% en moyenne entre 2004 et 2008 pour aboutir à 8,1 milliards de dollars de recettes totales en 2008. À titre de comparaison, sur la même période, le chiffre d’affaires de la presse écrite a baissé en France de 0,8% en moyenne par an (2,8 milliards de recettes en 2008) et faiblement progressé en Allemagne (0,9% de progression annuelle pour un résultat de 6,4 milliards de dollars de recettes en 2008). Une gageure en somme, vu de France surtout, où la presse quotidienne nationale connaît des difficultés structurelles et ignore toute déclinaison populaire, à l’exception d’Aujourd’hui en France ou d’un France Soir qui peine à retrouver son succès d’antan.
Toutefois, en 2009-2010, la presse tabloïde britannique n’est pas épargnée par la crise internationale. Mais si plusieurs de ses titres enregistrent une baisse de diffusion pouvant aller jusqu’à 7% entre février 2009 et février 2010 (Daily Mirror), elle s’en sort mieux, globalement, que les quality papers dont les ventes reculent de 7 à 17%. Durant la même période, le Daily Star réussit même à augmenter de 3% sa diffusion payée en réduisant son prix à 20 pence, tandis que le Sun conserve une légère progression (0,6%).
De fait, les tabloïds constituent aujourd’hui les pièces maîtresses des grands groupes qui se partagent le marché très concentré de la presse britannique.
Ce dernier est largement dominé par News International, qui grâce au Sun et à News of the World mais aussi à des qualities comme le Times et son supplément du week-end le Sunday Times, réalise le tiers des ventes de journaux nationaux au Royaume-Uni. Son intégration au sein de News Corporation autorise des synergies avec les autres médias détenus par Rupert Murdoch telle la chaîne de télévision Sky News.
En 2008, News International représente 22,9% des parts de marché de la presse britannique. Ainsi devance-t-il nettement ses challengers Associated Newspapers (12,9% de parts de marché), et Northern & Shell (11,4%). À elles trois, ces sociétés couvrent donc presque la moitié du marché (47,2%).
Propriétaire du Daily Mail et du Mail on Sunday, Associated Newspapers est la filiale du Daily Mail and General Trust, l’une des entreprises de presse britanniques les plus prospères mais aussi les plus anciennes, puisqu’elle remonte, comme on l’a vu, à la fondation en 1896 du Daily Mail par le futur Lord Northcliffe (dont d’autres filiales portent encore le nom : Associated Northcliffe Digital, Northcliffe Media, Northcliffe International).
Northern & Shell (également désignée sous l’appellation Express Newspapers) détient pour sa part quatre titres clés de la presse tabloïde : Daily Express, Sunday Express, Daily Star et Daily Star Sunday, ces deux derniers portant plus particulièrement sur l’actualité des vedettes de la télévision. Dans un registre très proche, le groupe est aussi connu pour ses magazines de célébrités, souvent déclinés à l’échelle internationale, OK !, New ! et Star ainsi que sa spécialisation dans l’édition de charme et les chaînes pornographiques.
À partir des années 1990, le dynamisme des tabloïds a souvent suscité des imitations de la part des journaux de qualité, confrontés à leur propre déclin ainsi qu’au vieillissement de leur public. Au grand dam d’une partie de leur lectorat et des élites intellectuelles qui y ont perçu le signe d’un nivellement par le bas, voire d’une crétinisation (dumbing down) de l’ensemble de la presse nationale.
On l’a vu, l’imitation de la presse tabloïde est d’abord passée, pour certains titres, par l’adoption d’un demi-format dont l’intérêt pratique semble évident, notamment en cas de lecture dans les transports publics. Mais c’est surtout la conversion supposée des grands journaux britanniques à une « culture du non-sérieux » qui est mise en cause : le fait par exemple que certains d’entre eux accueillent un loto aux prix alléchants pour doper leur audience. Ainsi, après la transposition par la plupart des tabloïds britanniques du traditionnel bingo de la culture populaire britannique, le Times en propose, à l’initiative de son nouveau propriétaire Rupert Murdoch, une version plus chic baptisée Portfolio, qui lui aurait rapporté près de 90 000 lecteurs en 1984.
Également dénoncée, la priorité que les quality papers hésitent de moins en moins à accorder à la « petite » actualité, dramatique ou heureuse, du monde sportif ou du showbiz. Et ce, en vue de conquérir un lectorat plus jeune, censé baigner dans la « three minute culture », loin de tout intérêt pour la lecture, la politique ou les affaire internationales.
Mais les reproches quant aux transformations des broadsheets et des compacts sont avant tout alimentés par la crainte que leur « tabloïdisation » (tabloidization) supposée les entraîne vers les dérives déontologiques de certains de leurs modèles.