La presse magazine en Allemagne reste relativement dynamique

La presse magazine en Allemagne reste relativement dynamique

Malgré la perte de vitesse des grands titres, la presse magazine allemande se porte assez bien.

Temps de lecture : 8 min

On compte en Allemagne en 2014 un total de 1568 magazines grand public (dont 538 certifiés par l’IVW(1), soit une augmentation de 29,6 % depuis 2004(2), en excluant les magazines spécialisés, religieux, distribués aux adhérents d’une association(3), magazines clients et corporate, ainsi que les programmes télé distribués avec les quotidiens régionaux comme rtv et Prisma. Ce chiffre inclut par contre les Wochenzeitungen, des hebdomadaires imprimés sur papier journal, et les déclinaisons du dimanche des quotidiens. L’augmentation du nombre de titres est due au secteur des magazines paraissant moins de deux fois par mois, alors que les titres paraissant plus fréquemment ne représentent plus que 8,7 % du total des titres. Selon le VDZ (Fédération des éditeurs de presse magazine), plus de 40% du chiffre d’affaires de la branche est réalisé avec des titres qui ont moins de dix ans.

Propriété et concentration

L’organisation de la presse reflète la structure fédérale et le polycentrisme de la RFA : la très grande majorité des magazines sont nationaux mais produits dans différentes grandes villes d’édition (Hambourg, Munich, plus récemment Berlin). Quelques grands éditeurs dominent très largement le marché en termes de diffusion.

Parts de marché des cinq plus grands groupes de presse magazine en Allemagne, 2014
La part de marché des cinq plus grands éditeurs était en mai 2014 de 63,2 %. La concentration est particulièrement marquée dans le segment des bihebdomadaires, hebdomadaires et bimensuels, où les cinq groupes les plus importants monopolisent 83,2 % de la diffusion contre 42,6 % pour les autres magazines(4).
La taille respective des groupes a changé en 2014 lorsque le groupe Funke a racheté plusieurs titres au groupe Springer. L’office fédéral anticartels ayant interdit la vente complète du portefeuille de magazines télé de Springer à Funke, les cartes ont été rebattues : Funke a racheté Hörzu et TV Digital (et a mis en place une répartition des rédactions à Munich et Hambourg en « centres de compétences » communs à tous ses titres télé), et a dû revendre cinq titres au groupe Klambt, lequel en a aussi racheté trois à Springer et va mettre en place à Baden-Baden une rédaction unique pour tous ses titres. Le groupe Springer  reste cependant important car il conserve les quotidiens Bild et Die Welt et leur galaxie de magazines, notamment Auto Bild ou Bild am Sonntag.

Audience et diffusion

La presse magazine touche en Allemagne 91,5% de la population de plus de 14 ans, avec 8,5 titres lus en moyenne. Les douze titres les plus diffusés en Allemagne représentent près de 14,2 millions d’exemplaires. Sept titres dépassent le million d’exemplaires vendus (ils étaient près de 30 dans les années 70), 13 titres sont entre 1 million et 500 000 exemplaires, 23 titres entre 500 000 et 300 000.

Presse magazine grand public en Allemagne : les 12 plus fortes diffusions

La diffusion payée a baissé de 25,4 % entre 2000 et 2014(5), une évolution amorcée dès les années 80. Trois quarts des titres ont connu une baisse entre 2013 et 2014, spectaculaire pour certains titres jeunesse (-35 % pour Bravo) et informatique (-47,1 % pour PC Welt). 


La vente des magazines se fait en moyenne pour moitié par abonnement, pour moitié au numéro. Les Wochenzeitungen ont un taux d’abonnés assez élevé qui les rapproche des quotidiens (68,3 % des ventes pour Die Zeit, 77,4 % pour Der Freitag . Pour les journaux du dimanche, on retrouve, en moins élevées, les proportions des quotidiens dont ils sont la déclinaison. Pour la vente au numéro, le nombre de points de vente de presse est très élevé : 115 929 en 2013, soit 1,4 pour 1000 habitants(6), le réseau le plus dense du monde. 

Une bonne partie des magazines a une déclinaison Internet, dont certaines sont parmi les sites les plus fréquentés, comme Spiegel Online (10,7 millions de visiteurs uniques en mai 2014), Focus Online (11,7 millions), Zeit Online (5,6 millions). Tous ces sites de magazines sont toutefois distancés par le site du quotidien de boulevard Bild (17 millions)(7).
 
Pour faire face à la baisse de la diffusion et à la forte baisse des recettes publicitaires (-27 % entre 2008 et 2013), les réponses des éditeurs sont variées : augmentation du prix de vente, nouvelles formules, versions pocket, plus-produits, mesures de recrutement d’abonnés, émissions télé dérivées (comme pour 11 Freunde, Yps ou Beef), mais aussi réorganisation et/ou mutualisation des rédactions.
Les magazines télé sont de plus en plus produits par des rédactions communes, ce que permet un mouvement de concentration important. Gruner+Jahr a regroupé ses rédactions à Hambourg, imposant un déménagement depuis Munich des rédactions de Neon, Nido, P.M. et Eltern. Cela a entraîné un large renouvellement du personnel, une bonne partie des journalistes ayant refusé de suivre. Les suppressions de postes sont aussi à l’ordre du jour, souvent accompagnées de l’externalisation de certains services ou de la rédaction complète. Le groupe Gruner+Jahr prévoit ainsi la suppression d’un poste sur 6, dont 26 au Stern.

Quelques spécificités culturelles

Les différentes familles de titres confirment quelques spécificités culturelles : les Allemands s’intéressent beaucoup à leur voiture ou à leur moto, de même qu’à l’aménagement de leur maison ou de leur jardin. Autre caractéristique, qui va cette fois à l’encontre des clichés : les magazines de gastronomie et de cuisine (Foodmagazine) ont une grande part de la diffusion, parfois spécifiquement destinés aux hommes comme Beef ! (Gruner+Jahr) ou Der Griller, entièrement consacré au barbecue.

Là où la France dispose du Chasseur français, l’Allemagne a également des magazines touchant à la vie rurale, mais le leader des ventes, Landlust, est tout à fait différent ; il joue sur un retour aux sources de citadins rêvant de ralentir le rythme, sur la redécouverte, déformée par le prisme de la nostalgie, d’une vie à la campagne censée être idyllique. Ce bimestriel lancé en 2005 par un éditeur spécialisé jusque là dans les magazines destinés aux professionnels de l’agriculture, est désormais le septième titre le plus diffusé. Il a ouvert la voie au segment des Heimatmagazine, magazines ancrés dans le terroir et qui touchent à la fois au mode de vie, à la décoration et à la cuisine.
On trouve également en Allemagne quelques titres inclassables qui sont des succès confirmés : Neon, magazine unisexe pour jeunes adultes créé en 2003 par Gruner+Jahr et décliné désormais également en France par Prisma Presse ; Yps, trimestriel relancé en 2012, une sorte de Pif Gadget jouant sur la nostalgie de toute une génération.

Newsmagazines : les conséquences d’une diffusion en baisse

Les lecteurs allemands disposent de trois newsmagazines(8), le Spiegel, Stern et Focus

Le Spiegel(9) reste considéré comme le magazine d’information et d’investigation, son site Internet fait partie des plus visités et il est de loin le média le plus cité par les autres médias. Stern mise pour sa part davantage sur le people et la photo, sans que se dégage une identité nette. Focus a réussi pendant quelque temps à se positionner comme un Spiegel plus conservateur et plus facile à lire, mais a vu ses ventes baisser de 35 % entre 2004 et 2014 (- 47 % pour les abonnements), alors que le Spiegel n’a perdu « que » 19 % de ses ventes et 4,75 % de ses abonnés. Focus atteint ses meilleures ventes au numéro lorsque sa couverture est consacrée à la vie pratique ou la santé. Quant à Stern, il a connu une baisse de sa diffusion de près de 30 % en 10 ans et une baisse des abonnements de -33 %, avec ses plus mauvais chiffres depuis les années 50.
 
Les newsmagazines sont concurrencés à la fois par Internet, à cause, entre autres, du délai entre bouclage et parution, mais aussi par les quotidiens suprarégionaux, qui proposent depuis longtemps des numéros week-end très fournis, auxquels on peut souscrire un abonnement spécifique. Plusieurs d’entre eux publient également un magazine du week-end, comme la Süddeutsche Zeitung, la FAZ (8 fois par an), ou encore Die Welt avec une fois par mois le magazine économique Bilanz. S’ajoutent à cela trois journaux du dimanche suprarégionaux très denses(10). Cela pousse les news magazines à miser davantage sur le week-end, et le Spiegel doit en 2015 décaler sa parution du lundi au samedi.   
Autre conséquence de la baisse de la diffusion, qui n’est pas sans rappeler la situation en France : une « boulevardisation » des couvertures qui vise à augmenter les ventes au numéro.
 Le Spiegel marche parfois sur les plates-bandes de Bild  
Le Spiegel marche parfois sur les plates-bandes de Bild, comme avec la couverture titrée «Le mensonge de la pauvreté. Comment les pays en crise de l’Europe cachent leurs fortunes »(11). Le Spiegel a d’ailleurs débauché successivement deux journalistes de Bild, ce qui a suscité un grave conflit dans la rédaction.

Signe d’une nervosité croissante des éditeurs, les trois newsmagazines ont connu en août 2014 des évolutions similaires : les rédacteurs en chef de Focus et Stern ont été brutalement limogés (il s’agissait pour Focus du 3ème en quatre ans), et celui du Spiegel est sur la sellette après avoir tenté d’imposer le projet Spiegel 3.0, une organisation bi-média (print et online) de la rédaction qui impliquait un renouvellement d’office de tous les chefs de service. Les éditeurs semblent donc rendre responsables d’évolutions économiques de long terme des rédacteurs en chef dont la longévité en poste est pourtant de plus en plus faible (les trois concernés étaient ou sont en poste depuis moins de deux ans) et dont la fonction s’apparente de plus en plus à un siège éjectable.

Die Zeit : une augmentation des ventes à contre-courant

Parmi les Wochenzeitungen, le plus connu est Die Zeit (publiée par le groupe familial Holtzbrinck), de haut niveau intellectuel avec des articles longs traitant de sujets de société et de culture. Son lectorat est plutôt masculin et diplômé, souvent universitaire, majoritairement âgé de plus de 60 ans et à fort pouvoir d’achat. Cet hebdomadaire produit à Hambourg est vendu avec un magazine, le Zeit-Magazin (dont la rédaction est à Berlin, comme celle de Zeit Online), qui vise des lecteurs plus jeunes et a depuis mai 2014 son propre site internet. La Zeit a également sorti récemment un numéro unique d’un supplément pour hommes un peu décalé, Zeit MannDie Zeit publie des éditions spécifiques pour les Länder de l’ex-RDA, pour l’Autriche et pour la Suisse. Elle a lancé en avril 2014 une édition spécifique pour Hambourg, en concurrence directe avec les quotidiens locaux et publie depuis octobre 2013 The Berlin State of Mind, un Best-of traduit en anglais des articles du Zeit-Magazin, vendu dans les grandes métropoles internationales (tirage de 10 000 exemplaires).
 

 L’ambition intellectuelle de la Zeit fait sa particularité et son succès 
L’ambition intellectuelle de la Zeit fait sa particularité et son succès. A contre-courant de l’évolution générale, ses ventes ont augmenté régulièrement ces dernières années, avec une augmentation des abonnements de 25,7 % entre 2004 et 2014 ; l’année 2013 a été la meilleure année depuis sa création en 1946.

Les magazines féminins à la recherche d’un nouveau public

De nombreux féminins ont une diffusion importante, en particulier les titres de la Regenbogenpresse (« presse arc-en-ciel »), des magazines le plus souvent hebdomadaires qui traitent à la fois de la vie sentimentale des stars et de la noblesse et de la vie quotidienne des lectrices, avec conseils mode, beauté et santé. Cette catégorie, au lectorat plutôt âgé et à faible pouvoir d’achat, représente, en ne comptant que les hebdos , plus de 6 millions d’exemplaires vendus.
Le segment de la presse people est proportionnellement moins important qu’en France, ce qui s’explique par une répartition différente par type de presse : le quotidien Bild occupe le terrain de manière massive, complété par la Regenbogenpresse. On peut cependant citer parmi les titres people Bunte, Closer ou encore Gala, concept importé de France. Les éditeurs de féminins tentent de renouveler leur public en lançant des magazines visant les trentenaires urbaines et actives mais aussi les femmes de plus de quarante ans avec des déclinaisons spécifiques (Brigitte Woman pour Brigitte et Donna pour Freundin). On a vu également se développer le segment des magazines « mindstyle », prônant un ralentissement du rythme urbain : Happinez, Flow (une sorte de « Landlust pour hipsters » selon le Spiegel ou encore Psychologies, importé de France.  

Magazines générationnels : presse enfantine et presse pour seniors

Entre 2013 et 2014, la proportion d’enfants de 6 à 13 ans ouvrant un magazine au moins une fois par semaine est passée de 82 % à 74 % ; ils restent cependant 70 % à lire des magazines(12). Des groupes sont spécialisés dans les magazines pour enfants et adolescents, comme Bauer avec Bravo, qui a accompagné depuis 1956 les premiers émois de générations d’adolescents. Mais la concurrence d’Internet et des réseaux sociaux se fait sentir : Bravo a perdu 74 % de sa diffusion payée en dix ans et annoncé une refonte à la fois du site et du magazine afin de devenir un « Social Magazine ». Certains titres tentent de capter le plus tôt possible ce jeune public en lui offrant des déclinaisons spécifiques : Die Zeit a lancé en 2011 le bimestriel Zeit Leo, rejoignant ainsi le quotidien Süddeutsche Zeitung avec son supplément trimestriel pour enfants et le Spiegel avec le mensuel Dein Spiegel.
 

 Il n’existe pas en Allemagne d’équivalent aux titres français destinés aux seniors 
Il n’existe pas en Allemagne d’équivalent aux deux titres français destinés aux seniors, Pleine Vie et Notre Temps.  Le segment est occupé par de nombreux magazines gratuits, souvent régionaux, produits par de petits éditeurs et distribués entre autres dans les cabinets médicaux ou dans les pharmacies, comme Senioren Ratgeber qui émane de l’industrie pharmaceutique (1,7 million d’exemplaires diffusés).

Un clivage Est/Ouest

On constate en Allemagne un clivage Est/Ouest dans les habitudes de lecture : les magazines des grands éditeurs (tous de l’Ouest) ont une diffusion et une audience bien moindres dans les nouveaux Länder. On constate une préférence, à l’Est, pour une presse bon marché et à forte composante pratique comme l’hebdomadaire Super Illu. Créé en 1990 par l’éditeur de l’Ouest Burda, il a un taux de pénétration de 1,4 % à l’Ouest et de 16,1 % à l’Est (hors Berlin dans les deux cas). Le magazine mise sur une proximité rassurante avec son lectorat et son vécu spécifique, par exemple en parlant des stars de l’Est ou avec beaucoup de conseils pratiques.
La création par Die Zeit d’une édition spéciale pour les nouveaux Länder, avec trois pages consacrées à l’Est et produites à Dresde, est une tentative de resserrer les liens avec des régions qui semblent faire partie d’un autre paysage médiatique. Les médias nationaux sont encore et toujours des médias de l’Ouest, qu’il s’agisse de la presse quotidienne ou de la presse magazine.

--
Crédits photo :
Ed Yourdon / Flickr

(1)

L’IVW est l’organisme de certification de la diffusion de la presse ; les chiffres donnés ici sont ceux de la diffusion payée au deuxième trimestre 2014.

(2)

Source : Vogel.

(3)

comme ADAC Motorwelt, le magazine de l’automobile club allemand, qui touche 16 millions de lecteurs.

(4)

Vogel, 350.

(5)

Source : Vogel

(6)

Source : Presse-Grosso 

(7)

Source : AGOF

(8)

Magazines d'actualité 

(9)

la société des personnels détient 50,5 % des parts mais elle ne regroupe que ceux qui travaillent pour la version papier ; les héritiers du fondateur ont 24 % et Gruner+Jahr 25,5 % 

(10)

11 cahiers et 75 pages pour Welt am Sonntag du 17/08/14

(11)

Pour savoir si ces couvertures réussissent à faire progresser les ventes, on se reportera avec profit à l’analyse semaine par semaine de la diffusion des trois news réalisée par le magazine MEEDIA  

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris