« L’information ne passe plus en priorité par l’accès à des médias »

Jean-Marie Charon, sociologue des médias, analyse la façon dont les jeunes s’informent, à l’occasion de la table ronde organisée sur ce thème par l’Observatoire de l’audiovisuel et du numérique.

Temps de lecture : 2 min

Pouvez-vous dessiner le « portrait-robot » du lecteur de presse ?
 
Jean-Marie Charon : C’est mission impossible, tant il y a des formes de presses différentes auxquelles ne correspondraient pas le même portrait-robot. Dans tous les cas, le lecteur de la presse n’est pas très jeune, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un lecteur de presse quotidienne payante.
La dernière édition des « Pratiques culturelles des Français » livre un chiffre saisissant de 10 % de lecteurs réguliers chez les 15-24 ans. Le lecteur de quotidiens est davantage un homme et s’il s’agit de quotidiens nationaux il appartient le plus souvent à des catégories éduquées. En région les quotidiens locaux ont gardé un public populaire, en dehors des plus grandes villes. Les quotidiens gratuits ont plutôt contribué à un rajeunissement et une féminisation du lectorat, mais dans des proportions limitées.

 En presse magazine un titre vieillit avec ses lecteurs 
La presse magazine globalement a davantage de lectrices que de lecteurs. Toutes les catégories sociales la lisent, avec un taux de lecteurs banlieusards élevé qui vient compenser la faiblesse des quotidiens dans les périphéries des grandes villes. Il y a des lecteurs jeunes et même très jeunes de magazines, mais force est de constater que dans la dernière décennie l’offre s’est moins renouvelée en direction des jeunes, or en presse magazine un titre vieillit avec ses lecteurs.
 
 
Peut-on mesurer le désintérêt des jeunes ?
 
Jean-Marie Charon : Les études générationnelles réalisées par le Département de la recherche et de la prospective (DEP) du ministère de la Culture montrent que la comparaison de cohortes d’individus de 10 ans en 10 ans, depuis l’après-guerre, fait ressortir un recul régulier de la lecture. Il s’agit là d’un facteur sociologique qui concerne aussi bien la presse que le livre, sachant que ce recul est plus fort chez les hommes. Il est difficile d’interpréter un tel phénomène. En revanche, la comparaison entre formes de presse fait ressortir l’inadaptation du mode de traitement de l’actualité du point du vue du fond (hiérarchie, terminologie, références implicites), comme de la forme, pour un public jeune.

L’obligation pour le quotidien de s’adresser à tous les publics quels que soient leurs âges est rédhibitoire, alors que les nouveaux magazines, eux, peuvent coller aux caractéristiques des publics jeunes auxquels ils s’adressent. De ce point de vue la presse magazine a pu connaître la même évolution que le radio avec l’ouverture de la FM dans les années 80. L’audience des généralistes, qui se rétractait, vieillit alors sensiblement, alors que de nouvelles antennes attiraient les jeunes auditeurs. Les quotidiens gratuits, notamment 20 Minutes qui entendaient s’adresser à un public jeune et urbain ont pu davantage adopter un fond et une forme immédiatement accessibles à celui-ci. Une démarche similaire fut adoptée par Springer, avec la création du Welt Kompakt, écrit pour les jeunes et qui sut gagner ainsi près de 200 000 acheteurs, avec cette édition de Die Welt conçue spécifiquement pour des étudiants et jeunes adultes.
 
 
Qu’attendent les jeunes ?
 
Jean-Marie Charon : Le développement de l’Internet, surtout avec le haut débit et le Web 2.0, va durcir les tendances au déclin de la lecture de la presse d’information.
 La recherche et l’échange d’informations se font au travers des recommandations des amis 
Surtout les réseaux sociaux, en fait d’abord l’essor de Facebook, permettent un tout autre rapport à l’information qui ne passe plus en priorité par l’accès à des médias dans une relation verticale. Désormais la recherche et l’échange d’informations se font principalement au travers des « recommandations » des « amis », voire des personnes que l’on suit sur Twitter. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de passage par des sites de médias, mais ce sera davantage via l’accès aux murs ou aux comptes des amis ou des followers. Les mouvements sont rapides dans ce public. Les années 2000 avaient d’abord été marquées par l’engouement pour les blogs. Ceux-ci sont délaissés par cette tranche d’âge. Un mouvement similaire est amorcé à l’égard de Facebook, d’autres réseaux prenant le relais. Toute la question pour les médias est de saisir ces évolutions et d’adapter leur mode de relation à ces publics jeunes avec les réseaux et supports qu’ils privilégient à un moment donné.

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Crédit photo : Didier Allard - INA


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