Quel modèle économique ?
Conjointement à la question de l’investissement se pose logiquement celle du modèle économique. Les trois acteurs ont à ce niveau des tactiques très différentes. Explicite, à ce jour, est encore une association de loi 1901 et n’a pas encore choisi comment elle allait générer du revenu. « C'est là-dessus qu'on travaille actuellement, explique Emmanuel Goubert, ce n’est pas sur les réseaux sociaux qu'il y a le plus d'argent à gagner, c'est clair, et c'est pour ça que nous réfléchissons actuellement à développer une application ainsi qu’à avoir une part d'abonnement. » Dans un premier temps, le jeune média est passé par le
crowdfunding [financement participatif, NDLR] afin de financer les frais de reportage et de matériel des journalistes associés. « Mais c'est évident qu'on ne peut pas vivre là-dessus très longtemps » ajoute le journaliste. « Nous avons eu quelques contacts avec des investisseurs potentiels. Pour l’instant rien n’est fait mais on espère que ça aboutira. »
Le modèle économique de MinuteBuzz est organisé autour du
native advertising. « Nous avons développé une grille de programmes sur toutes nos marques, avec des rendez-vous quotidiens, hebdomadaires » explique Sébastien Roumier. « Par exemple avec
SuperBon, qui est notre marque
food, on donne des informations sur l’univers culinaire, en permettant à nos partenaires de s’y associer, en les intégrant en début de vidéo et tout au long du contenu. C’est ce que l’on appelle du
branding social, et les marques ont besoin de toute façon de contenus vidéos pour exister sur les plateformes. Nous leur disons ‘nous avons cette expertise, venez-vous-y greffer’ ». Le média crée aussi du contenu
ad hoc pour les marques qui ont des actualités, des temps forts ainsi que des vidéos en marque blanche pour les annonceurs. Sébastien Roumier va un peu plus loin en expliquant qu’il y a une nécessité de se démarquer de ce qui existe déjà, de la façon dont les vieux médias fonctionnent.
Brut fait aussi le pari du native advertising. « Les marques ont envie de s’associer à cette nouvelle entité qu’est Brut et qu’elles considèrent comme moderne, avec une écriture très particulière et très différenciante sur les flux Facebook et Twitter » détaille Roger Coste. À côté de ça, Brut a lancé un partenariat avec France Télévisions, à qui il confie la commercialisation des espaces publicitaires de ses vidéos sur les réseaux sociaux ainsi que sur les plateformes du groupe France Télévisions, qui diffuseront les vidéos du nouveau média.
Brut espère pouvoir atteindre les 100 millions de vues d’ici la fin de l’année
Le paysage des médias est-il sur le point de changer ? C’est l’avis de Sébastien Roumier. « Il y a un modèle économique de la production télévisuelle et un modèle économique de la production de vidéos sur les plateformes » analyse le directeur général délégué de MinuteBuzz. « Sur les plateformes sociales une vidéo va avoir une durée de vie de quelques heures pour celles qui marchent le moins et de deux à trois jours pour celles qui marchent le mieux. Du coup, il faut mettre en place un modèle qui correspond à cette économie-là, en n’oubliant pas que nous sommes sur un usage principalement mobile, une consommation d’un contenu qui est très rapide. Donc il est inutile de mettre des moyens techniques importants qui vont vous donner des coûts de dingue pour finalement des éléments de détail qui ne seront pas vus dans la vidéo. »
De fait, Explicite, Brut et MinuteBuzz sont extrêmement dépendants des réseaux sociaux, de leurs décisions stratégiques ou de la modification de leurs algorithmes. On pourrait par exemple parler ici de la possibilité, évoquée par Facebook, de mettre davantage en avant les vidéos longues. Mais pour l’instant aucun des acteurs ne craint de changement radical d’attitude des plateformes sociales prochainement. « Peut-être que ça va bouger mais pas dans les quelques années à venir, analyse Sébastien Roumier, et si ça devait être le cas, nous anticiperons, comme on l’a fait notamment sur le contenu texte au détriment du contenu vidéo. On va garder un modèle qui nous permet d’être suffisamment flexibles. » Selon lui, les besoins et les intérêts mutuels entre plateformes, annonceurs et médias sont à ce jour trop importants pour que tout cesse du jour au lendemain. Roger Coste estime quant à lui qu’il n’y a pour l’instant pas de risque de saturation du marché ou d’apparition d’une bulle qui pourrait éclater. « Je me souviens des discussions il y a quatre, cinq ans sur le poids de Facebook, Google et YouTube » se remémore le co-fondateur de Brut. « On voit bien que déjà les choses commencent à se rééquilibrer. Twitter avait lancé son live et maintenant c’est Facebook live. Les choses changent, il y a un marché de concurrence entre les différents opérateurs. Dailymotion va être relancé avec une orientation plus pro. Donc ça bouge, il y a en permanence de nouvelles têtes, de nouveaux opérateurs, de nouvelles idées, je pense qu’on n’a pas à s’inquiéter pour l’instant. »
Quelques mois seulement après le début du mouvement vers le tout social, les trois médias semblent donc optimistes. Brut espère pouvoir atteindre les 100 millions de vues d’ici la fin de l’année, tandis que MinuteBuzz souhaite continuer à créer de nouvelles verticales [des marques dérivées d’un média qui s’intéressent à un thème précis, NDLR] prisées par les
millenials. « On souhaite se rapprocher encore plus d’eux » annonce Sébastien Roumier. « Il est aussi nécessaire de progresser sur l’engagement avec les contenus et valoriser notre modèle économique ». Chez Explicite, on souhaite tout d’abord pérenniser le média et passer à un statut d’entreprise avec l’aide d’investisseurs, afin de permettre un développement de la plateforme. « Je pense que l’on peut se rappeler dans six mois pour voir où on en est » nous dit Emmanuel Goubert à la fin de notre entretien téléphonique. Le rendez-vous est pris.
--
Crédit Photo :
Capture d'écran/
Youtube/Brut