Live Nation : l’alternative des majors du disque ?

Live Nation : l’alternative des majors du disque ?

L’entreprise d’organisation de spectacles Live Nation est en passe de devenir le géant mondial de la musique.
Temps de lecture : 7 min

Du « Spin-off » avec Clear Chanel jusqu’à la fusion avec Ticketmaster

En 2005, le groupe Clear Channel, menacé de poursuites judiciaires pour non respect des lois anticoncurrencielles, est contraint de se scinder en trois parties : Clear Channel Outdoor, Clear Channel Communications et Live Nation. Cette scission, dite « tax free spin-off », est donc à l’origine de la création du groupe Live Nation - avec à sa tête Michael Rapino qui dirige environ 4000 employés dans le monde entier. Si l’entreprise se présente, au départ, comme un simple promoteur de spectacles et de sports, la société s’impose, par la suite, comme une superstructure grâce à ses diverses activités : management d’artistes, ventes de merchandising (produits dérivés) sur le site livenation.com, production et promotion de concerts, et même enregistrement de disques.

En 2009, Live Nation veut étendre son action jusqu’à la prise en charge des ventes de billets en ligne. Pour éviter d’entrer en concurrence avec Ticketmaster (le numéro 1 de la vente de billets en ligne), une fusion est envisagée au mois de février 2009. En octobre, la Competition Commision (la commission sur la concurrence) émet un avis défavorable provisoire sur cette fusion au Royaume-Uni dans le cadre des lois européennes anti-trust. Après négociations, en décembre, la commission autorise finalement l’opération – tout comme The United States Department of Justice. En janvier 2010, la fusion entre les deux grands groupes est confirmée.

Cependant, la formation d’un tel groupe n’a pas échappé à la critique des médias et des artistes eux-mêmes. Suite à l’officialisation de cette fusion, un site internet TicketDisaster.org – mis en place par des associations de consommateurs et des groupes anti-trust – a été créé pour lutter contre la situation de monopole de la nouvelle holding intitulée désormais Live Nation Entertainment. De la même manière, Bruce Springsteen a déclaré au magasine Rolling Stone en février 2009 que « la seule chose qui rendrait la situation actuelle encore pire pour les fans, serait que Ticketmaster et Live Nation en viennent à un système unique, ce qui nous ferait revenir à une situation de quasi-monopole dans le secteur de la billetterie des concerts ». Même les membres de la CCIA (The Computer & Communication Industry Association) qui rassemble entre autres Google, Oracle Corporation, Microsoft, Yahoo, Intuit and eBay, se sont prononcés contre la fusion, rapporte le journaliste Alfred Branch sur le site TicketNews.

La nouvelle firme se présente donc comme étant le géant du commerce de la musique et possèdant tous les atouts pour s’affirmer sur le plan mondial.

 
Bureau de direction de Live Nation avant la fusion avec Ticketmaster
Name                             
Age             
Position
Michael Rapino
43
President and Chief Executive Officer and Director
Brian Capo
42
Chief Accounting Officer
Arthur Fogel
55
Chief Executive Officer—Global Touring and Chairman—Global Music
Jason Garner
36
Chief Executive Officer—Global Music
John Hopmans
50
Executive Vice President—Mergers and Acquisitions and Strategic Finance
Nathan Hubbard
33
Chief Executive Officer—Ticketing
Thomas Johansson
60
Chairman—International Music
Alan Ridgeway
42
Chief Executive Officer—International Music
Michael Rowles
43
General Counsel and Secretary
Ben Weeden
32
Chief Operating Officer—North American Music
Kathy Willard
42
Chief Financial Officer
 
 (source : rapport annuel externe de Live Nation 2008) 

Une volonté de s’inscrire dans un monde globalisé

En 2008, selon le rapport annuel externe de l’entreprise, Live Nation a organisé pas moins de 22 000 événements à travers 33 pays ; le site internet du groupe livenation.com a été visité par plus de 72 millions de personnes. De plus, la société qui était cotée au Nasdaq est désormais indexée au New York Stock Exchange sous le nom LYV ; selon Pollstar, le chiffre d’affaire de l’entreprise est passé de 3,6 milliards de dollars en 2006 à 4,2 milliards de dollars en 2008, soit une augmentation d’environ 8 %.

La multinationale est donc en plein essor et se présente aujourd’hui comme une entreprise globale, à vocation internationale ; la promotion et la production de plus de 4000 concerts ou événements hors de l’Amérique du Nord en est la preuve. Le pôle International Music représente, en effet, 33 % de son revenu total.

Pour étendre son influence, la société a fait l’acquisition de nombreux lieux de concerts jugés stratégiques. En 2008, Live Nation a acheté, par exemple, le Heineken Music Hall, et acquis 51 % des parts du AMD (Amsterdam Music Dome), 51 % de celles du Main Square Festival situé à Arras en France. Fidèle à sa politique de diversification de ses activités, Live Nation investit dans des clubs, des stades, des arènes, des festivals, des House of Blues ou des théâtres.

Parallèlement, l’entreprise se concentre de plus en plus sur ses activités de promotion, avec l’achat de 51 % des parts de Emerge ou Emerge Media Ventures Ltd., une société canadienne, et l’acquisition de parts dans le groupe Fantasma Productions Inc. qui promeut des concerts en Floride. En Italie, la société a racheté Milano Concerti et Trident Agency.

En Amérique du Sud, avec l’achat de Clear Channel Entertainment do Brasil Ltda – une compagnie brésilienne de production et de promotion – Live Nation s’impose comme la première entreprise de promotion de la musique. Cependant, sur certains marchés européens, Live Nation doit faire face à son principal concurrent : Anschutz Entertainment Group (AEG).

La force de la firme n’est pas seulement d’avoir su harmoniser ses contrats dans le monde entier, facilitant de fait la venue d’artistes internationaux ; elle a su également tirer profit d’Internet en réunissant une communauté d’internautes sur livenation.com et en fidélisant les fans (mails personnalisés, création de comptes en ligne…). Ainsi, depuis sa fusion avec Ticketmaster, Live Nation domine largement le secteur de la vente de billets en ligne.

Evolution des revenus du groupe Live Nation

 
(source : Zonebourse.com – Thomson Reuters)

La vente de billets en ligne : un défi pour l’avenir de la musique

La fusion avec Ticketmaster, a suscité plusieurs polémiques notamment sur le prix des billets. En effet, pour un concert de Bruce Springsteen, les fans étaient redirigés vers le site TicketNow – qui appartient à Ticketmaster – où les prix étaient plus élevés alors que les billets au tarif normal étaient toujours en vente. Pour répondre à ce type d’anomalies, le Congrès a voté une loi afin d’assurer une transparence totale des tarifications de spectacle.

Actuellement, le « ticketing » (vente de billets) est le secteur phare du commerce de la musique, même si quelques défaillances persistent. Pour Irving Azoff, directeur exécutif de Live Nation, l’avenir de la vente de billets en ligne pourrait bientôt consister à adapter les prix de l’offre en fonction de la demande.

L’industrie de la musique ne peut plus être pensée aujourd’hui que dans une logique de diversification de ses activités. D’ailleurs le groupe Ticketmaster lui-même possède Front Line Management – la plus grosse agence de management d’artistes. Ainsi, le travail d’une maison de disque ne représente plus qu’une partie infime de l’ensemble des actions des entreprises de l’entertainment (divertissement).

La naissance d’une nouvelle maison de disques

Le succès de Live Nation en tant qu’organisateur de concert est si important que l’entreprise s’oriente désormais vers le management d’artistes et même la production de disques. Des artistes tels que Madonna pour son Album Confessions on a Dance Floor ou le groupe U2, ont déjà signé des contrats d’exclusivité avec Live Nation pour leurs prochains disques. Plus récemment, le rappeur Jay-Z et la chanteuse Shakira ont également signé d’importants contrats avec la firme. La force de ces contrats « tout compris » ou 360° est de prendre totalement en charge les artistes : de leur production musicale jusqu’à la conception de produits dérivés. En cela, Live Nation est un peu plus qu’une simple maison de disques. En effet, avec la crise qui a touché l’industrie du disque dans les années 2000, le secteur du spectacle vivant est devenu la première source de revenus dans le commerce de la musique.

Cependant, la politique du PDG Michael Rapino est différente de celle des majors. En effet, d’après le New York Post, la stratégie de Live Nation a pour objectif, à la manière d’Hollywood, d’externaliser au maximum ses activités : contrairement aux majors, la principale source des revenus de Live Nation provient de ses contrats signés avec d’autres industries de l’entertainment et non pas des ventes directes de CD. En cela, la firme est novatrice. Depuis l’effondrement des ventes de CD à cause de l’apparition de plateformes de téléchargement gratuit comme Napster en 1998, les ressources des industries musicales proviennent surtout de l’externalisation des productions liées au spectacle vivant, à la création de produits dérivés comme les sonneries téléphoniques etc.

Le cas de la France : Live Nation Holding

En France aussi, Live Nation gagne du terrain. Après avoir acheté 51 % des parts de la société Jackie Lombard Productions, Live Nation a décidé de créer une filiale française - Live Nation Holding - présidée par Isabelle Gamsohn, longtemps productrice de festivals de jazz.

Parallèlement, les bureaux américains situés à Londres, ont investi le Festival Main Square à Arras via la filiale Live Nation Belgique. Cette installation en France d’une entreprise internationale favorise la venue d’artistes mondialement connus, mais déplaît à certains producteurs comme Jules Frutos qui explique au Monde : « Depuis 1945, il était obligatoire de posséder une licence d’entrepreneur de spectacles pour organiser un concert en France. Aujourd’hui, cette licence est supprimée par directive européeenne, au nom de la libre circulation. N’importe quel individu ou société de l’UE est en droit d’organiser un spectacle en France ». En revanche, cette mesure laisse la possibilité aux organisateurs de cotiser et demander des subventions au CNV (Centre National des Variétés) – organisme chargé de collecter une taxe sur la billetterie et de la redistribution de ce fonds sur la forme d’aide aux tournées.

Afin de ne pas apparaître comme un « ogre impérialiste », Live Nation France a décidé d’organiser des soirées « découvertes » dans de plus petits lieux comme le VIP Room ou la Maroquinerie à Paris. En fait, l’entreprise est à la recherche d’une crédibilité et d’une légitimité pour développer d’autres activités comme la gestion de salles de concerts et la création d’événements musicaux. Pour cela, Isabelle Gamhson explique : « Nous sommes en discussions avec les villes pour créer des événements. Il y a des régions sous-exploitées côté scène, il faut aller chercher de nouveaux gisements. Nous souhaitons alimenter des régions avec de petits et de gros concerts. Le travail avec des promoteurs locaux est essentiel pour vasculariser le réseau français des musiques actuelles. »

Ainsi, Live Nation en France adopte une politique du crossover où super-production et petits événements indépendants sont gérés sur le même plan. Armelle Campagna, promoteur, observe à ce sujet : « Nous organisons de gros concerts à Paris Bercy, mais aussi au Petit Faucheux à Tours (37), qui compte 190 places. C’est une première dans l’histoire de Live Nation en France ». De fait, le groupe français prend soin de ne pas s’imposer en France par la force : « Nous ne répondrons pas aux appels d’offres pour gérer des Zénith. Nous voulons d’abord faire nos preuves » affirme Isabelle Gamsohn.

La démission de Barry Diller

Très récemment, le Hollywood Reporter a annoncé la démission de Barry Diller, PDG de Live Nation Entertainment. Irving Azoff, PDG exécutif du groupe, a justifié ce départ de manière inhabituelle… sur son compte Twitter ! Selon lui, il était convenu que Barry Diller quitterait Live Nation à la fin de l’année. Pour le New Yorker, la véritable raison de cette décision serait due à des rivalités au sein de la direction.

En effet, il semble que la fusion du groupe avec le géant de la vente de billets en ligne Ticketmaster en janvier 2010, ait généré des tensions au sein de la direction. Depuis le mois de juin, ces difficultés ont fait baisser le prix des tickets vendus durant l’été 2010. Ainsi, en octobre, les parts du groupe se sont effondrées à 9.95 $ contre 16.90 $ avant la fusion. Le journaliste Glenn Peoples explique la démission de Barry Diller par le fait que les investissseurs attendaient du changement. Market Intellisearch propose une autre version des faits : « l’activité actuelle des investisseurs à Live Nation confirme un mouvement d’actions imminent en faveur du groupe ». Le départ de Barry Diller marquerait en fait un tournant décisif dans la stratégie économique et financière du groupe. Il semble que Live Nation soit entré dans une nouvelle ère de développement, portée par de nouveaux investisseurs qui veulent proposer une alternative aux majors du disque…

A voir aussi

  • Richard HARRINGTON, “A Concert Promoter Out to Steal the Show?”, Washington Post, 28 Août 1998
  • Paul R. LA MONICA, “Live Nation: A Hot Ticket?”, CNNMoney.com, 4 janvier 2006
  • L.M. SIXEL “Live Nation Is Going to L.A.”, Houston Chronicles, 23 décembre 2005

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