Grâce à l’ISF, les jeux vidéo sont plus riches

Grâce à l’ISF, les jeux vidéo sont plus riches

Le marché du jeu vidéo attire des investisseurs qui se tournaient auparavant vers le cinéma : une disposition de la loi TEPA leur permet en effet de déduire de l’impôt de solidarité sur la fortune jusqu’à 50 % des montants investis.
Temps de lecture : 4 min

L’industrie du jeu vidéo repose sur une économie très capitalistique, des coûts de production élevés (selon le type de jeu) et des temps de productions plus importants que le cinéma. Les producteurs de jeu indépendants sont le premier maillon de la chaîne de production, développent seuls les premiers éléments du jeu (univers graphique, gameplay, scénario) avant de chercher rapidement un éditeur (comme Ubisoft, Activision ou encore EA) qui prendra en charge une grande part du budget de production et assurera la promotion et la commercialisation du produit. Pour les entreprises françaises, essentiellement des petites PME de moins de 5 ans(1) faiblement capitalisées, l’accès à des sources de financement diversifiées est une nécessité.
 
Les « fonds TEPA », déjà mobilisés dans le milieu du cinéma et de l’audiovisuel, commencent cette année à lorgner vers le jeu vidéo. Ce dispositif d’incitation fiscale à l’investissement, créé par la loi en faveur du Travail, de l’Emploi, et du Pouvoir d’Achat de 2007 (le fameux « paquet fiscal »), accorde une réduction de 50 % des montants investis sur l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), ou de 18 % sur l’impôt sur le revenu, pour les particuliers qui investissent au capital de PME. Imaginé pour soutenir la capitalisation du tissu de PME françaises, le dispositif est utilisé depuis plusieurs années par des PME du secteur du cinéma et de l’audiovisuel pour financer la production d’œuvres. Au global, les fonds TEPA lèvent env iron 800 millions d’euros par an, tous secteurs confondus, une source de financement que les acteurs du jeu vidéo devraient donc surveiller de très près.
 
À l’occasion du Videogame Economics Forum d’Angoulême, la question du rapprochement de ces deux mondes a été abordée par Arnaud Bertrand, gestionnaire des fonds d’investissements ISF Cinéma, et Philippe Banakas, de 123 Capucines. Ces deux fonds TEPA existent depuis 2008, et ont contribué au financement de films aussi variés que Des Hommes et des Dieux (Xavier Beauvois, 2010), Un amour de jeunesse (Mia Hansen Love, 2010), Les Combattants (Thomas Cailley, 2014), ou encore le prochain Réparer les vivants (Katell Quillévéré, 2016). ISF Cinema aurait levé quelques 70 millions d’euros en une dizaine d’années, essentiellement auprès de particuliers s’acquittant de l’ISF et désireux de diversifier leur portefeuille d’investissement. Pour ces fonds, l&rsqursquo;industrie du jeu vidéo est un front pionnier qui mérite toute leur attention, une opportunité d’investissement supplémentaire, dans une économie en plein essor.

Un investissement tourné vers les projets, comme au cinéma

Les fonds levés par ces intermédiaires sont investis au capital de sociétés ad hoc, qui investissent à leur tour dans des œuvres portées par des producteurs du secteur : ce financement d’actifs (le film, le jeu), plutôt que directement de sociétés du secteur, correspond à une pratique de l’écosystème du cinéma dans lequel les producteurs, peu capitalisés, détiennent les droits des films et cherchent des partenaires pour cofinancer la production. La valeur partagée se fait ainsi plus facilement autour de l’exploitation du film, plutôt que des bénéfices éventuels de l’entreprise de production – qui sont en réalité rares. Pour le jeu vidéo, le modèle choisi par ces fonds reste le même : les particuliers investissent dans des sociétés écrans, dont les gestionnaires orientent les investissements en fonction d’une évaluation interne des risques et opportunités des projets qui leurs sont soumis.

Bien choisir les jeux pour maîtriser le risque

 Il faut réduire au maximum le risque  
Les fonds, soucieux de maitriser le risque de leur investissement, opèrent leurs choix selon plusieurs critères : le potentiel du jeu, la solidité du producteur dans le secteur, les succès commerciaux rencontrés par les jeux antérieurs, la présence d’un éditeur aux côtés du développeur. Il faut réduire au maximum le risque lié à la fabrication et convaincre sur la capacité du jeu à réussir sur le marché pour que le risque de commercialisation soit minimal – et, au contraire, devienne une opportunité de recettes.
 
L’investissement est également opéré à des moments précis du cycle de fabrication du jeu vidéo, correspondant à un potentiel de retour sur investissement plus important : en développement d’abord, pour amorcer la préparation (remboursée lors de la mise en production), puis en coproduction ou en coédition. Cette stratégie permet de viser une récupération de l’investissement dès le premier euro de recettes, et d’éviter que, dans trop grande concurrence avec les autres financeurs, l’investissement soit remboursé plus tard (ou, en cas d’échec, pas du tout). L’investissement en développement permet aussi au producteur de renforcer son implication dans le projet et de mieux négocier avec l’éditeur - qui prendra en charge une grande partie du budget de production -  les royalties liées à la vente du jeu. Évidemment, l’investissement peut générer des bonus au-delà de la mise initiale, même si celle-ci, lorsqu’elle n’est pas plafonnée est souvent dégressive.

 
ISF Cinéma a ainsi commencé son approche du milieu du jeu vidéo en investissant dans le projet Ys Interactive, dirigé par Luc Verdier, autour de l’adaptation vidéoludique de la célèbre bande dessinée de Dargaud Blacksad. S’appuyant sur la marque de la licence, le fonds est ainsi confiant dans les projections de rendement proposées par le développeur du jeu. Du côté de 123 Capucines, c’est le projet de Darewise Entertainment qui fait l’objet d’un investissement : Rokh, un jeu de colonie martienne. Contre un financement de l’ordre de 20 % du budget du jeu, le fonds négocie un droit à recette prioritaire lors de l’exploitation, qui sera vendu sur la plateforme de téléchargement Steam. Les montants investis, négociés au gré à gré, varient selon le potentiel du jeu, le moment d’investissement et les conditions du contrat. Pour avoir un ordre de grandeur des sommes investies, les fonds avancent entre 50 000 et 100 000 € en développement et de 200 000 à 400 000 € pour la production.

Associer déduction fiscale et capital symbolique

Pour l’investisseur, le choix d’un « fonds TEPA » est avant tout motivé par l’argument fiscal. Mobilisé pendant plusieurs années avant d’être rendu à l’actionnaire, l’investissement permet surtout d’être abattu immédiatement de 50 % de son montant sur l’ISF. La rentabilité finale de l’investissement, qui n’est pas assurée, est suspendue à cet abattement.
 
 Être au générique d’un jeu vidéo a une valeur symbolique forte pour l’investisseur  
La valeur culturelle de l’investissement est aussi un argument de choix : être au générique d’un film, d’une série, ou d’un jeu vidéo a une valeur symbolique forte, pour l’investisseur ou son entourage.
 
Surtout, bien mené, un investissement dans le jeu vidéo a un fort potentiel de rentabilité. Les fonds précités avancent des objectifs de taux de retour proches de l’investissement initial (ce qui fait pleinement bénéficier l’investisseur de 50 % de bonus grâce à l’avantage fiscal). Car contrairement au cinéma, le jeu vidéo est une production qui cherche immédiatement un marché international, en particulier via les plateformes de téléchargement(2) et des succès à grande échelle, comme ceux de certains jeux mobiles, laissent miroiter des perspectives plus enchanteresses.

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Crédit photo :
Money2. olivierterrier / Flickr. Licence CC BY-NC 2.0
(1)

Source : SNJV. 

(2)

Steam sur ordinateurs, magasins en ligne sur les téléphones mobiles. 

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