Protection des mineurs et œuvres cinématographiques, un état des lieux

Protection des mineurs et œuvres cinématographiques, un état des lieux

La classification des œuvres cinématographiques au cinéma a pour principale mission de protéger les mineurs d’images trop violentes ou obscènes pour leur âge. Comment articuler cette protection avec la liberté d’expression ?

Temps de lecture : 17 min

Un distributeur français a récemment eu l’idée de promouvoir un film en barrant visiblement son affiche d’un bandeau arborant le terme « censuré ». La « censure » en cause résidait dans le choix du ministre(1) de la Culture d’attribuer à ce film un visa d’exploitation interdisant le film aux moins de 16 ans… Cette affiche résume parfaitement la position de plusieurs commentateurs qui estiment que l’attribution de visas d’exploitation visant à protéger les mineurs contre des images violentes ou sexuelles constitue une atteinte importante à la liberté d’expression.
 
 La menace de l’interdiction totale ou la nécessité de couper le film pour qu’il soit diffusé n’existe plus en France.  
Le terme de censure est régulièrement employé par les détracteurs de l’action publique visant à protéger les mineurs contre certaines œuvres cinématographiques. Étymologiquement, le terme censure renvoie à l’action de juger. Il est défini aujourd’hui comme le fait « d’interdire (en totalité ou en partie) une publication, un spectacle » (dictionnaire Le Robert). Cette définition semble aujourd’hui peu en phase avec les rôles des différentes autorités compétentes pour réguler l’accès des mineurs aux œuvres cinématographiques. L’interdiction totale de visa d’exploitation pour une œuvre cinématographique existe en droit mais n’existe plus dans les faits. L’interdiction la plus importante réside dans une interdiction totale aux mineurs. On peut certes admettre que certains « genres » de films sont interdits de diffusion à la télévision française mais il s’agit de films pornographiques extrêmes. Au-delà, l’interdiction ne concerne que les mineurs. La situation est assez similaire en termes d’exploitation de film sur supports physiques et en vidéo à la demande (VOD). Dans ces conditions, l’utilisation du terme « censure » qui traduit aujourd’hui une connotation liberticide semble critiquable. La menace de l’interdiction totale ou la nécessité de couper le film pour qu’il soit diffusé n’existe plus en France. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, un juge ordonnait dans notre pays la destruction totale de toutes les copies d’un film jugé licencieux(2). La situation semble aujourd’hui sans commune mesure en termes d’atteinte à la liberté d’expression. Pour preuve, la Convention européenne des droits de l’homme, qu’il est difficile de qualifier de liberticide, reconnaît en son article 10 que le droit à la liberté d’expression n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de cinéma à un régime d’autorisation. Appliquant cette convention, le Conseil d’État a récemment jugé que les visas attribués aux œuvres cinématographiques « n’ont ni pour objet, ni pour effet d’interdire la diffusion des films, mais visent à la restreindre à l’égard des mineurs en fonction de critères tirés notamment de la très grande violence de certaines scènes »(3). Rappelons que la protection des mineurs contre les œuvres cinématographiques a été rapidement assumée par la puissance publique. Dans un premier temps confiée aux autorités locales (le cinéma était alors assimilé aux « spectacles de curiosités »), la police du cinéma a finalement été confiée dès 1916 à une commission nationale censée attribuer aux films une carte permettant la représentation en salle(4). À l’origine gardienne des tabous – guerres, collaboration sous la Seconde Guerre mondiale, religion, décolonisation, bonnes mœurs…–, cette commission se concentrera petit à petit uniquement sur la protection de l’enfance et de l’adolescence.
 
La protection des mineurs contre les œuvres cinématographiques a suivi les évolutions technologiques. Les diffusions à la télévision puis sur supports physiques (cassettes vidéo, DVD, blu-ray…) et en VOD sont ainsi encadrées par des mesures publiques de protection des mineurs. Aujourd’hui, c’est Internet représente un nouveau défi pour les pouvoirs publics chargés de la protection des mineurs contre les œuvres cinématographiques.
 
Il apparaît pertinent dans ces conditions de revenir sur les différents régimes français de protection des mineurs en matière d’œuvres cinématographiques afin de saisir leur portée, leur pertinence et les éventuelles problématiques qui en découlent. Il est pour cela nécessaire de mesurer la multiplicité des régimes prévoyant la protection des mineurs con les œuvres cinématographiques, afin de déterminer s’ils sont satisfaisants ou non et, le cas échéant, de proposer des évolutions. 

Multiplicité des régimes : entre interdictions et recommandations

En France, l’exploitation d’une œuvre cinématographique implique la prise en compte de normes visant à la protection des mineurs. Selon que l’œuvre est exploitée au cinéma, à la télévision, en VOD ou sur support physique, les normes utilisées sont différentes. La situation est assez simple lorsqu’un film sort en premier lieu dans les salles de cinéma. En effet, l'article L. 211-1 du Code du cinéma et de l’image animée (ci-après CCIA) prévoit que « la représentation cinématographique est subordonnée à l’attribution d’un visa d’exploitation par le ministre chargé de la Culture ». Le terme « représentation » implique une projection au public, généralement une exploitation en salle ou en plein air. Chacun de ces films doit obligatoirement recevoir un visa d’exploitation délivré par le ministre de la Culture après recommandation de la Commission de classification des œuvres cinématographiques autrefois appelée Commission de censure. Les objectifs affichés de l’attribution de ces visas sont la protection de l'enfance et de la jeunesse et le respect de la dignité humaine (art. L. 211-1 CCIA). La matérialité des visas d’exploitation est fixée par un décret de 1990. Ce dernier prévoit plusieurs situations : un film peut obtenir une autorisation de projection pour tout public, une interdiction aux moins de 12 ans, 16 ans, 18 ans, une classification X voire (situation tombée en désuétude) une interdiction totale. La distinction entre ces différentes interdictions aux mineurs peut difficilement être faite car le décret ne précise pas à quelle situation correspond telle ou telle interdiction. Pour autant, l’attribution de ces visas est faite sous contrôle de la juridiction administrative. L’étude de la jurisprudence et des différents visas attribués permet de dresser un bilan que l’on peut résumer par le tableau suivant :


Pour résumer, la gradation de scènes de sexe et/ou de violence conduit le ministre à attribuer une interdiction plus ou moins sévère. Pour une bonne compréhension, rappelons que l’interdiction aux moins de 18 ans a été créée en 2001 suite à un imbroglio juridique entourant la sortie en salle du film Baise-moi. Ni pornographique (le film n’a pas de vertu masturbatoire comme l’exige la jurisprudence constante du Conseil d’État) ni incitatif à la violence, le film n’en nécessitait pas moins une interdiction aux mineurs qui ne pouvait être à l’époque qu’une classification X. L’article 227-24 du Code pénal prévoit en effet qu’est constitutif d’un délit le fait de véhiculer un message à caractère violent ou pornographique lorsqu’il est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. Le film Baise-moi répondait objectivement au critère de la violence qui nécessitait une interdiction aux mineurs et donc à l’époque une classification X. Le problème est que cette classification implique que les salles traditionnelles (non X) ne peuvent projeter le film et que ce denier est soumis à un régime fiscal particulièrement confiscatoire. Pour éviter ces problématiques le Gouvernement a décidé de créer une nouvelle catégorie : l’interdiction aux moins de 18 ans. Un film comportant des scènes de sexe non simulées et explicites pourra donc obtenir un visa « moins de 18 ans » sans pour autant être classé X. À titre d’exemple, le film Ken Park (qui comporte des scènes de sexe non simulées mais qui n’est pas un film à vertu masturbatoire) a ainsi pu obtenir un visa « moins de 18 ans » sans pour autant être banni des salles traditionnelles et être soumis à un régime fiscal exorbitant.
 
Une fois le visa d’exploitation obtenu, les textes prévoient que ce visa suivra le film tout au long de son exploitation quel qu’en soit le support. L’article 5 du décret du 23 février 1990 prévoit ainsi qu’une fois le visa obtenu celui-ci doit être reporté sur les jaquettes des vidéogrammes et que les services d’exploitation audiovisuelle (chaînes de télévision, service de VOD, catch-up TV) doivent également avertir le public en cas d’interdiction en se fondant sur le visa délivré par le ministre. Grâce à plusieurs recommandations, le CSA a mis en vigueur un système de signalétique et catégorisation (de 1 à 5) qui conditionne notamment les horaires permis pour la diffusion des films concernés par une interdiction. On note ainsi que la diffusion des films X ou des films à visa « moins de 18 ans » n’est possible que sur les chaînes dites « cinéma » et en VOD. Le CSA précise néanmoins dans sa recommandation de 2005 qu’une chaîne de télévision doit proposer d’aggraver l’interdiction posée par le ministre si elle l’estime nécessaire au regard de la situation particulière d’une diffusion à la télévision. À titre d’exemple, le CSA a récemment considéré que la chaîne Orange Ciné Novo avait sous classifié le film de Jean-Claude Brisseau À l’aventure en lui attribuant une catégorie III (déconseillé aux moins de 12 ans) alors que le film méritait selon le CSA de figurer dans la catégorie IV (déconseillé aux moins de 16 ans). Le film avait pourtant obtenu un visa d’exploitation « moins de 12 ans » lors de sa sortie en salles.
 
Les choses se compliquent lorsqu’un film n’a pas obtenu de visa d’exploitation en raison du fait qu’il n’est pas sorti en salle de cinéma. La question se pose alors de savoir si une chaîne de télévision ou un éditeur de vidéogramme doit respecter un certain nombre de mesures visant à la protection des mineurs contre les scènes de sexe ou de violence. La situation des chaînes de télévision et de la VOD est très encadrée. En effet, le CSA prévoit que les catégories évoquées plus haut correspondent non seulement aux visas attribués par le ministre mais également à des conditions bien précises en cas d’absence de visa. À titre d’exemple, la catégorie III (pictogramme rond de couleur blanche avec l'incrustation d'un -12 en noir) correspond ainsi « aux œuvres cinématographiques interdites aux mineurs de 12 ans, ainsi qu’aux programmes pouvant troubler les mineurs de 12 ans, notamment lorsque le programme recourt de façon systématique et répétée à la violence physique ou psychologique ». Les chaînes de télévision sont donc appelées à l’auto régulation sous peine d’être rappelées à l’ordre par le CSA en cas de sous-classification (pour un exemple d’un film sans visa : American pie 5). La situation des services de médias audiovisuels à la demande est réglée par une délibération prise par le CSA en 2011 qui reprend la catégorisation en 5 temps exposée plus haut mais qui pose des règles de diffusion différentes. On peut ainsi noter que depuis cette délibération, les films de catégorie V (films X et moins de 18 ans) peuvent être diffusés par les services de VOD payants 24h/24h et non plus entre minuit et cinq heures du matin comme auparavant.
 
 Tout est fait pour inciter les éditeurs et distributeurs de vidéos à l’autorégulation. 
La protection des mineurs en matière de vidéogrammes reproduisant des films qui n’ont pas reçu de visa d’exploitation repose davantage sur l’autorégulation des distributeurs de ces supports. Rappelons que la quasi-intégralité des films pornographiques ne sort actuellement plus au cinéma faute de salle et faute de marché. Le support-cible des éditeurs de films pornographiques est la vidéo qui est en train de se faire supplantée par l’offre croissante sur Internet. Ces films sont donc dans une situation où l’obtention d’un visa n’est pas nécessaire. Il existe également depuis toujours un marché des films non pornographiques qui ne sont pas sortis en salle. Ainsi, le dernier film réalisé par Robert Redford (La conspiration) n’est pas sorti en salle en France et a directement été exploité en vidéo. Bien que n’ayant pas reçu de visa d’exploitation, ces films restent concernés par certains textes visant à la protection des mineurs. La loi du 17 juin 1998 comporte un chapitre III très clair sur la protection des mineurs contre les vidéos pornographiques ou violentes. L’article 32 de la loi prévoit ainsi que les vidéogrammes présentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère « pornographique » ou « en raison de la place faite au crime, à la violence, à l'incitation à l'usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants, à l'incitation à la consommation excessive d'alcool ainsi qu'à la discrimination ou à la haine contre une personne déterminée ou un groupe de personnes » doivent faire l’objet d’une « signalétique spécifique au regard de ce risque ». Le non respect de ces obligations entraîne une responsabilité pénale prévue à l’article 34 de la loi. Au-delà de la signalétique imposée par la loi, l’autorité administrative peut même aller jusqu’à interdire elle-même la location ou la vente de ces vidéos aux mineurs. On comprend à la lecture de cette loi que tout est fait pour inciter les éditeurs et distributeurs de vidéos à l’autorégulation en adoptant une signalétique adaptée pour les films n’ayant pas reçu de visa d’exploitation. Leur vigilance permettra d’éviter l’interdiction ou une sanction pénale. Ce système semble efficace dans la mesure où il n’a été fait que trois fois utilisation de l’interdiction totale aux mineurs par le ministre de l’Intérieur concernant deux vidéos à caractère pornographique puis le film Baise-moi. L’utilisation pour ce film d’un arrêté du ministre de l’Intérieur fondé sur l’article 33 de la loi du 17 juin 1998 démontre que ce texte peut également concerner les films ayant reçu un visa d’exploitation si l’éditeur du vidéogramme ne respecte pas les préconisations obtenues lors du visa (moins de 18 ans pour Baise-moi).
 
Au-delà de la loi de 1998, rappelons que le Code pénal prévoit au surplus en son article 227-24 que le fait « de fabriquer, de transporter, de faire commerce ou de diffuser un message à caractère violent ou pornographique constitue un délit lorsqu’il est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». Cet article du code pénal non exclusif des vidéogrammes s’y applique également, incitant une fois de plus les éditeurs de vidéogrammes et plus largement toutes les personnes concernées par l’exploitation d’un film à la plus grande prudence en matière de protection des mineurs.
 
Au vu de ces développements chacun aura compris que le régime juridique de la protection des mineurs contre les œuvres cinématographiques est une question complexe et multiple. Pour autant, loin de porter atteinte à la liberté d’expression, ces différents régimes sont, à notre sens, en grande partie satisfaisants.

Des régimes en grande partie satisfaisants

Les différents régimes de protection des mineurs contre les œuvres cinématographiques sont souvent critiqués. Nous laisserons de côté la critique qui réclame une aggravation des mesures existantes pour une meilleure protection des mineurs(5). Le caractère marginal en France de ces positions nous amène à y préférer les militants d’une procédure plus souple qui souhaitent une libéralisation des régimes exposés dans notre première partie. On reconnait souvent les partisans de cette cause par l’usage du terme « censure » qui est abondamment utilisé pour qualifier les mesures de protection des mineurs. Ainsi, le professeur Gilles Lebreton n’hésite pas à qualifier le système français des visas d’exploitation de « censure administrative »(6). Beaucoup de distributeurs sont souvent soucieux de ne pas recevoir un visa trop lourd afin de ne pas pénaliser la diffusion de leur film en salle ou à la télévision où sont imposés des horaires de diffusion réduits pour certains films (voire l’article 3 de la recommandation du CSA du 7 juin 2005). D’autres semblent au contraire rechercher l’interdiction la plus lourde pour en faire un argument commercial (le distributeur du film Saw III, seul film de la série à avoir obtenu une interdiction en salle aux moins de 18 ans en France, ne manqua pas de rappeler que le film était en conséquence le plus terrifiant, le film a été le plus vu de la série en France au cinéma…). Certains sites Internet consacrent des dossiers complets à cette fameuse « censure » qu’ils rejettent en bloc (une recherche à partir des mots « cinéma et censure » sur Google donne une bonne idée de leurs revendications).
 
Des différents régimes de protection des mineurs, c’est avant tout le système d’attribution des visas qui est le plus critiqué. Il est vrai que l’attribution d’un visa accompagnera le film pendant toute la durée de son exploitation au cinéma, à la télévision, sur vidéogramme ou en VOD. La solution alternative à l’attribution de visas est connue. Il est en effet possible de supprimer le système d’attribution préalable de visa par les pouvoirs publics en le remplaçant par une simple déclaration préalable. En cas de problème, il appartiendra aux associations, aux particuliers ou aux pouvoirs publics d’agir par voie de justice avant ou, le plus souvent, après la sortie du film. Le régime serait assez similaire à celui pratiqué en matière de livre ou de journaux. Il ne resterait aux distributeurs qu’à respecter les différents textes pénaux que nous avons évoqués plus haut. Il n’y aurait donc plus de « censure » préalable par l’administration mais une simple possibilité d’intervention juridictionnelle des différents acteurs sociaux. C’est cette situation qui est notamment proposée par le professeur Lebreton dans son ouvrage précité de libertés publiques(7). Cette solution aurait pour conséquence de transférer au juge ce qui était de la compétence du ministre de la Culture. Cette idée paraît en effet beaucoup plus libérale que la première et plus respectueuse des libertés publiques dans la mesure où un juge interviendrait systématiquement en cas de problème. Le problème est que la nature a horreur du vide et qu’une disparition du système du visa conduirait sans aucun doute à l’apparition de nouveaux acteurs (privés cette fois-ci) visant à la régularisation du marché. C’est exactement la situation des États-Unis qui ne connaissent pas de système public d’attribution d’autorisation préalable à la diffusion d’un film en salle.
 

 Aux États-Unis, le système de restriction par âge le plus usité n’est pas obligatoire et est assuré par une structure privée regroupant les studios hollywoodiens. 
Aux États-Unis, le système de restriction par âge le plus usité (Motion Picture Association of America film rating system) n’est pas obligatoire et est assuré par une structure privée regroupant les studios hollywoodiens. Alexandre Bohas précise ainsi dans un article consacré à la Motion Picture Association of America que : « souhaitant éviter la censure de ses films et l’intervention gouvernementale dans le secteur du cinéma, les majors ont successivement institué plusieurs mécanismes d’auto-contrôle. Ces derniers ont donné la possibilité aux studios de montrer aux publics le soin particulier porté au respect des bonnes mœurs et de la morale tandis qu’ils leur ont permis d’effectuer des économies substantielles en évitant de financer des films qui eussent été censurés par les autorités fédérales ou locales ». On voit bien ici la volonté des studios d’éviter l’ingérence de l’administration en ce qui concerne la protection des mineurs. Ce système d’autorégulation peut paraître séduisant au premier abord mais en réalité ce système entraîne des effets pervers qu’il serait souhaitable d’éviter dans notre pays. Une affaire récente illustre la perversité de ce système. Le système de « rating » de la MPAA est, comme nous l’avons précisé, facultatif. Pour autant, sortir un film sans l’avoir soumis à la MPAA pour classification implique que le film devient naturellement « NC » (non classified). Le puritanisme américain et le rôle actif des lobbys conservateurs impliquent que de tels films se voient refuser l’accès à un grand nombre de salles et à la publicité. En d’autres termes, un film « NC » n’a quasiment aucune chance de connaître un succès en salle. Il s’ensuit que pour des raisons économiques, il est préférable qu’un film obtienne une classification afin d’être diffusé le plus largement possible. Le problème est que la MPAA est bien plus sévère que notre commission de classification et notre ministre de la Culture lors de l’attribution de visas. Le producteur et distributeur américain (distributeur de The artist aux États-Unis) Harvey Weinstein l’a récemment appris à ses dépens lorsque le film Bully, qu’il distribue aux États-Unis, s’est vu classifier « R » (interdiction aux moins de 17 ans non accompagnés d’un adulte). Le film se voyait notamment reprocher l’utilisation abusive du mot fuck (6 fois dans le film…) qui implique automatiquement une classification « R ». Le problème est que le film met précisément en scène des adolescents en traitant du harcèlement des élèves dans les lycées. Le film est donc précisément destiné aux adolescents. La classification « R » empêchait alors la cible principale du film de le voir. Pensant dans un premier temps sortir le film sans classification (« NC ») Harvey Weinstein a finalement accepté de procéder à des coupes dans le film distribué en salle afin d’obtenir une classification plus clémente. Cet exemple démontre toute la perversité qui peut découler de l’absence d’action publique dans le cadre de la protection des mineurs. Le vide laissé par l’État est souvent occupé par des organismes privés par nature plus enclins à défendre des intérêts privés (en l’espèce les lobbys conservateurs). Au final, la véritable « censure » qui impose des coupes au film est présente dans notre exemple dans un pays où l’administration n’agit pas pour protéger les mineurs contre les œuvres cinématographiques. Il existe certes des pays où l’État exerce lui-même une censure puissante mais on peut douter du caractère démocratique des institutions de ces pays (Iran, Chine…).
 
À titre de comparaison et pour appuyer notre démonstration on peut citer l’exemple des jeux vidéo en Europe qui sont largement soumis au système « PEGI » (Pan European Game Information) mis en place et financé par un regroupement des fabricants de logiciels de loisirs européens (on retrouve ici comme pour la MPAA le souhait d’autorégulation et de non intervention de l’administration). Là encore, ce système s’avère bien plus dur que notre système de visas français des films ce qui est reconnu comme constituant une volonté par Jean-Claude Larue, délégué général du SELL (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs) qui est à l’initiative du système PEGI.
 
 Les systèmes d’autorégulations mis en place par les professions concernées sont toujours beaucoup plus durs que notre système français d’attribution publique de visa. 
Ces deux exemples conduisent selon nous à démontrer que, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les mesures les plus dures et les moins libérales visant à la protection des mineurs ne viennent pas d’où on le pense. Les systèmes d’autorégulations mis en place par les professions concernées sont toujours beaucoup plus durs que notre système français d’attribution publique de visa. La comparaison se fait aisément. Le film Drive a obtenu en France un visa assorti d’une interdiction aux moins de 12 ans alors qu’aux États-Unis le film a été classifié « R » (interdit aux moins de 17 ans sans adulte). Dans le même sens le dernier volet de la série Harry Potter a été classifié moins de 13 ans aux États-Unis alors qu’il a obtenu un visa tout public en France. Une rapide comparaison effectuée sur le site Internet IMDB démontre que les visas d’exploitation français sont souvent les plus libéraux obtenus dans les pays démocratiques. La censure dénoncée par plusieurs distributeurs ou commentateurs semble, au vu de ces développements, assez lointaine. Il semble en tout cas assez prévisible qu’une suppression du système d’intervention publique conduirait à une régulation plus dure qu’aujourd’hui. On peut de plus noter que la situation actuelle d’attribution des visas est peu contestée devant le juge administratif. Le nombre de recours déposés contre les arrêtés du ministre de la Culture attribuant les visas est peu élevé (un à deux recours par an) et sont effectués la plupart du temps par l’association Promouvoir qui demande systématiquement un alourdissement de l’interdiction attribuée. L’absence d’action préalable de l’administration par le biais de visa aurait mécaniquement pour conséquence de multiplier les recours alourdissant au passage le travail des juges qui n’en n’ont pourtant pas besoin. Au final, une volonté de libéralisation pourrait bien conduire à un effet contraire. Ne dit-on pas que le mieux est l’ennemi du bien ?

Les améliorations possibles

Au-delà d’une remise en cause globale des visas d’exploitations, qui ne nous semble pas souhaitable, différentes améliorations pourraient être apportées en matière de protection des mineurs contre les œuvres cinématographiques.

 
La régulation de la diffusion des œuvres cinématographiques à la télévision peut sembler aujourd’hui un peu dure. L’article 3 de la recommandation du CSA du 7 juin 2005 prévoit des restrictions pour les films de catégorie III (- de 12 ans), IV (- de 16 ans) et V (- de 18 ans). Les films de catégories III ne peuvent ainsi pas être diffusés sur des chaînes autres que les chaînes cinéma avant 22h hors dérogation exceptionnelle accordée par le CSA. Les films de catégorie IV ne peuvent être diffusés avant 22h30 dans les mêmes conditions que les films de catégorie III. Enfin, les films de catégorie V sont soumis à une recommandation du 15 décembre 2004 du CSA pour la projection à la télévision hors VOD. Cette recommandation ne prévoit qu’une possibilité de diffusion entre minuit et cinq heures du matin uniquement pour les chaînes cinéma. Cette interdiction pénalise concrètement les films non pornographiques qui ont obtenu un visa d’interdiction aux moins de 18 ans et non X. Ces films qui sont souvent des films d’auteurs (Baise-moi, Quand l’embryon part braconner, 9 songs ou Ken park ont obtenu un tel visa) ne pourront en l’état actuel des choses jamais être diffusés sur des chaînes autres que cinéma. On pourrait donc souhaiter un assouplissement des différentes recommandations du CSA pour la diffusion des films de catégorie V (hors films pornographiques) mais aussi pour les films de catégories III et IV qui nous paraissent excessivement pénalisés par une classification moins de 12 ou 16 ans. Les distributeurs de ces films sont en effet moins rémunérés par les chaînes si leur film passe après 22h ce qui peut aboutir à pénaliser de façon importante la carrière financière d’un film. Une remise à plat des critères des horaires de diffusion de ces films paraît en conséquence souhaitable. Notons que le CSA a récemment assoupli sa position dans une recommandation du 20 décembre 2011 en ce qui concerne la diffusion des films de catégorie III, IV et V en VOD. Seules les deux dernières catégories sont aujourd’hui soumises à restriction : une restriction horaire pour les films de catégorie IV et technique pour les films de catégorie V.
 
En guise de conclusion, on peut insister sur une problématique de plus en plus actuelle : la diffusion des œuvres cinématographiques sur Internet dont la régulation est difficile. Pour autant, les filtres parentaux se développent et rappelons que l’article 227-24 du Code pénal est opposable aux éditeurs de sites Internet. Cet article précise que le fait « de fabriquer, de transporter, de faire commerce ou de diffuser un message à caractère violent ou pornographique constitue un délit lorsqu’il est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». Néanmoins, comme le rappellent les auteurs du Droit de la communication numérique(8) : « encore faut-il pouvoir appréhender les responsables de la mise en ligne ainsi réalisée sans restriction. Trop souvent, ceux-ci sont hors de portée de la justice française de sorte que la réponse pénale s’avère impuissante ». Il reste donc en la matière à trouver une solution pour étendre à Internet le travail effectué en matière de protection de la jeunesse sur les autres supports de diffusion des œuvres cinématographiques.

Références

Jérôme HUET, Emmanuel DREYER, Droit de la communication numérique, LGDJ, 2011.
 
Francis CABALLERO, Droit du sexe, LGDJ, 2010.
 
Pascal KAMINA, Droit du cinéma, LexisNexis, 2011.
 
Pascal MBONGO (dir.), La régulation des médias et ses standards juridiques, Mare et Martin, 2011.
 
Gilles LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, A. Collin, 8e éd., 2009.
 
Jean-Luc DOUIN, Dictionnaire de la censure au cinéma, PUF, 2001.
 
Albert MONTAGNE, Histoire juridique des interdits cinématographiques (1909-2001), L’Harmattan, 2007.
 
 

(1)

Formellement, l’acte administratif attribuant le visa est signé par le ministre de la Culture. 

(2)

Au sujet du film L’essayeuse, Cour d’appel de Paris, 10 juin 1977, v. Albert Montagne, Histoire juridique des interdits cinématographiques (1909-2001), L’Harmattan, 2007, p. 188 et s. 

(3)

CE 6 octobre 2008 , Sté Cinéditions, AJDA 2009, p. 544 note Marc Le Roy. 

(4)

Pour une étude historique, v. Albert Montagne, Histoire juridique des interdits cinématographiques (1909-2001), L’Harmattan, 2007. 

(5)

Par exemple le militantisme juridictionnel de l’association Promouvoir. 

(6)

Gilles, LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, Armand Collin, 8e éd., 2009, p. 513. 

(7)

Gilles, LEBRETON, Libertés publiques et droits de l’homme, Armand Collin, 8e éd., 2009, p. 513. 

(8)

Jérôme HUET ; Emmanuel DREYER, Droit de la communication numérique, LGDJ, 2011, p. 107. 

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