À l'étranger, un autre regard
On peut comprendre la décision de certains médias hexagonaux de ne pas publier l'identité des terroristes par la fréquence alarmante des attentats en France, qui pousse à une certaine réforme dans la manière de traiter l'information. Ainsi BFM TV a-t-elle changé son fusil d'épaule après avoir été mise en demeure par le CSA pour des « manquements graves » dans le traitement des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher du 7 janvier 2015, et diffusé une vidéo du camion fonçant sur les victimes ainsi que des corps, lors des attentats de Nice du 14 juillet 2016. La chaîne a décidé de ne plus montrer les portraits des auteurs d’attentats.
À l'étranger, où l'urgence d'une couverture médiatique potentiellement plus éthique ne se pose pas, on observe le débat avec autant d'intérêt que de scepticisme. Au Québec, où aucun média n'a officiellement décidé de suivre la politique du
Monde et d'autres médias français,
Le Devoir fustige au contraire ce qui s'apparente à de l'autocensure, et s'inquiète que les politiques s'en mêlent. Le quotidien britannique
The Guardian rappelle que Daesh et ses fidèles font un usage consommé de la vidéo et des réseaux sociaux, et qu'exclure les photos des terroristes des colonnes du
Monde, qui s'adresse à un autre public, n'empêchera pas l'iconographie terroriste de circuler sur la toile. Les technologies modernes de capture d'image, comme les caméras portatives, et la diffusion en direct, favorisent cette circulation.
Le débat français
a suscité d’intenses réflexions à La Repubblica. Le quotidien italien se rappelle le dilemme qui était le sien dans les années 1970, quand la rédaction se demandait s’il fallait diffuser les communiqués des Brigades rouges. Pour le directeur du journal, Mario Calabresi, les médias sont pris dans une guerre du sens qu’ils doivent mener avec responsabilité, afin de ne pas contaminer, par l’image, des citoyens qui ne partagent pas l’idéologie de Daesh.
La Repubblica a donc décidé de ne plus diffuser de portraits de terroristes en une, et de couvrir les événements avec mesure, en évitant de verser dans le sensationnel.
Aux États-Unis, le journaliste de
CNN Anderson Cooper a refusé de prononcer le nom du tueur de la boîte de nuit d'Orlando en juin, préférant énoncer, pendant plus de cinq minutes et avec émotion, le nom et l'âge des 49 victimes de l'attentat. Cette initiative rappelle le
mémorial du Monde aux victimes de l'attentat de Paris du 13 novembre 2015, et témoigne de la « singularisation des victimes » selon Gérôme Truc, une tendance, depuis l’attentat du 11 septembre 2001 à New York, à accorder plus de place aux victimes dans le traitement du terrorisme.
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Une de
Libération du 19 novembre 2015, photo non datée d'Abdelhamid Abaaoud, publiée par le magazine de Daesh. Photo Reuters. Avec l'aimable autorisation de
Libération.