Les médias religieux en France : une petite histoire

Les médias religieux en France : une petite histoire

Comment, du XIXe à nos jours, les différentes religions présentes en France, catholiques en tête, se sont peu à peu inscrites pleinement dans le paysage médiatique ? Retour sur une histoire qui épouse les évolutions de l’information moderne.

Temps de lecture : 9 min

Que signifie « être un journaliste catholique » ? À cette question, posée par Presse-Actualité, en décembre 1966, Georges Hourdin, qui dirige alors La Vie catholique illustrée, répond sans hésiter : « C’est d’abord être un journaliste comme les autres (…), en attachant à l’information profane une importance égale à celle que l’on attache à l’information religieuse. » Quel chemin parcouru depuis la Révolution française où le pape Pie VI, dans sa Lettre aux évêques députés de l’Assemblée nationale (10 avril 1791), fustigeait la liberté de la presse, depuis le XIXe siècle où Grégoire XVI stigmatisait la « liberté funeste » (1832) et son successeur Pie IX condamnait l’expression libre comme un péché « moderne » (1864) !

L’histoire des médias religieux, en France, se confond, pour l’essentiel, avec celle des médias catholiques, même si, comme nous le verrons, les autres cultes n’en sont pas dépourvus. Leur existence même souligne le double sentiment qu’éprouve l’Église à l’égard de la puissance médiatique : la crainte et l’attirance pour un outil qui parasite le message sacré, pervertit les esprits mais permet aussi de répandre l’enseignement des Évangiles et d’édifier les fidèles sur le monde qui les entoure.

Considérés d’abord comme maux nécessaires, les médias religieux sont devenus les instruments indispensables d’un regard partagé sur toutes les questions qui agitent l’actualité de la société.

La République et les masses, le double défi des catholiques

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la presse catholique ne dispose pas de grands titres, à l’exception cependant de L’Univers que crée Louis Veuillot, en 1843. Le quotidien est un organe de combat catholique, intransigeant sur le dogme, hostile aux Lumières, au protestantisme, au judaïsme, infatigable héraut de la papauté. Lu par le clergé et l’élite catholique, L’Univers est influent, malgré un tirage en dessous de 8 000 exemplaires, à la fin du Second Empire.

La vraie rupture vient avec la République (la Troisième République) et, sur fond d’émergence de la presse de masse, l’apparition de La Croix, hebdomadaire (1880) transformé en quotidien, en 1883. Le journal se distingue par une triple singularité. D’abord, il est publié par une congrégation religieuse, les assomptionnistes, à l’origine d’un magazine populaire, Le Pèlerin (1873) et d’une maison d’édition, la Bonne Presse. Ensuite, il adopte le modèle des quotidiens à un sou (5 centimes), ciblant non plus l’élite mais le cœur des fidèles. Dans ses colonnes, l’information y côtoie la piété populaire mais aussi le fait divers. Enfin, sa diffusion repose, à partir de 1887, sur le militantisme de centaines de comités de paroisses, animés par des fidèles qui le vendent à la sortie de la messe et gagnent des abonnements en faisant du porte-à-porte. Le résultat est là : en 1889, le tirage de La Croix frôle les 110 000 exemplaires, atteignant son acmé en 1902, avec 174 000 exemplaires.

« La Croix » écrase le reste de la presse religieuse par son tirage 

La date de création donne le sens de la démarche : elle suit les lois sur les congrégations enseignantes (1880) et la promulgation de la loi scolaire (mars 1882). Les républicains, qui viennent de triompher aux élections, s’apprêtent à voter une loi sur le divorce. Bref, La Croix se vit comme un organe de défense des intérêts de l’Église et mène ses premiers combats contre la  loi Goblet sur l’enseignement primaire (1886) et la loi sur le service militaire des séminaristes (1889). Conservatrice sur le plan religieux, antisémite (ce qui l’amène dans le camp antidreyfusard), La Croix se défend d’être hostile à la République. Le 12 novembre 1890, après le ralliement de l’Église au nouveau régime, le Père Bailly, qui dirige le journal, écrit : « Nous n’avons jamais combattu la forme républicaine ; nous n’avons pas non plus à y faire adhésion. » Néanmoins, les rapports se tendent avec le pouvoir, sous l’effet des lois laïques et du combisme. Avec l’interdiction des assomptionnistes (1900), le journal est racheté par l’industriel lillois Paul Féron-Vrau, qui reste fidèle à leur ligne et leur restituera le titre en 1924.

La Croix écrase le reste de la presse religieuse par son tirage, d’autant qu’elle essaime à travers tout le pays avec des Croix départementales. Certains titres de province, comme Le Nouvelliste de Lyon (créé en 1878, il tire à 75 000 exemplaires en 1914), s’imposent, malgré tout, dans le paysage de journaux catholiques qui, dans l’ensemble, touchent essentiellement les classes aisées, les classes moyennes cultivées et le clergé.

La presse catholique ne saurait cependant se limiter aux quotidiens. Ainsi, très tôt, la Bonne Presse, mue par sa mission morale, se lance à la conquête des plus jeunes pour contrer les hebdomadaires de divertissement laïque qui lui sont destinés. Le Noël, fondé en 1895 et consacré aux enfants, n’est que le premier d’une longue série d’hebdomadaires, où se distinguent notamment Bayard (pour les garçons) et Bernadette (pour les filles). Dans les années 1930, la maison d’édition s’adapte au goût du jour, en introduisant la bande dessinée dans les journaux pour enfants. Modernisée en 1930, Bernadette tire à 280 000 exemplaires, avant-guerre.

L’Église veut aussi moraliser la presse et assurer la relève dans ses journaux. À cet effet, l’épiscopat initie un projet d’apprentissage du journalisme. En novembre 1924, l’Université catholique de Lille ouvre ainsi une section journalisme, baptisée, dix ans plus tard, École supérieure du journalisme, la première du genre.

Marginales dans la population, les autres confessions le restent aussi dans le monde de la presse

Selon l’Annuaire de la presse, au seuil de la Seconde Guerre mondiale, la presse catholique dispose de 115 titres parisiens, 63 journaux de province, sans compter la multitude des bulletins paroissiaux. Les périodiques y dominent. Certaines publications sont spécifiquement destinées aux ecclésiastiques, comme le mensuel L’Ami du clergé. D’autres ciblent des catégories de population, comme École et Liberté, qui soude la communauté des parents d’élèves de l’école libre (140 000 exemplaires en 1938), Le Petit Écho, publié par la Ligue féminine d’action catholique ou L’Étudiante catholique. Les tirages sont parfois impressionnants, comme L’Almanach du Pèlerin qui, touchant surtout les campagnes, est imprimé à 1,2 million d’exemplaires. Dans un ensemble très conservateur, la démocratie chrétienne peine à trouver sa place, à l’instar de La Vie catholique, hebdomadaire fondé en 1924 et dirigé par Francisque Gay et Georges Hourdin.

Marginales dans la population, les autres confessions le restent aussi dans le monde de la presse. Le seul quotidien protestant, Le Signal, ne survit que douze ans (1894-1906) et la référence, dans l’entre-deux-guerres, demeure l’hebdomadaire Le Christianisme du XXe siècle. Créé en 1840, Samedi s’impose comme le plus important hebdomadaire juif, un siècle plus tard (50 000 exemplaires).

Mais, au-delà de la presse religieuse proprement dite, il convient de ne pas oublier des titres qui, marqués par leur attache spirituelle, attirent les croyants, comme Le Gaulois ou L’Écho de Paris pour les catholiques, ou Le Temps pour les protestants.

Épouser le siècle d’après-guerre

L’Occupation et la Libération marquent les décennies d’après-guerre. L’attitude de l’Église sous Vichy et l’influence de la démocratie chrétienne (le Mouvement républicain populaire, MRP) redessinent les contours de la presse catholique. Bien qu’elle ait continué à paraître en zone Sud, après l’arrivée des Allemands, La Croix est sauvée par le général de Gaulle ; par rapport à l’avant-guerre, elle perd néanmoins près de la moitié de ses lecteurs (75 000, en 1949). Mais, pour le reste, c’est l’esprit de la Résistance chrétienne qui souffle sur les nouveaux titres.

Tandis qu’un petit groupe de résistants protestants crée Réforme, en 1945, Témoignage chrétien (fondé en 1941 dans la clandestinité par deux pères jésuites, Pierre Chaillet et Gaston Fessard) ouvre le monde catholique à un engagement résolument ancré à gauche, sous la direction de Georges Montaron, ancien permanent de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et ex-secrétaire fédéral du MRP. « Je revendique le droit pour des chrétiens d’être engagés dans la voie du socialisme », affirme Montaron, en 1966 (1). Témoignage chrétien est ainsi au premier rang des luttes anticoloniales et tiers-mondistes, ce qui lui vaut, pendant la guerre d’Algérie, d’être souvent saisi (69 fois, de 1955 à mars 1958). Régulièrement confronté à des difficultés financières, recourant souvent aux souscriptions pour assurer sa survie, le journal vend cependant moins de 50 000 exemplaires par semaine, à la fin des années 1970. C’est peu dire que la hiérarchie ecclésiastique ne soutient guère un journal qui mêle christianisme et socialisme.

Par ailleurs, dans le décret Inter Mirifica sur les « moyens de la communication sociale »(1963), les Pères du Concile Vatican II entendent promouvoir « une presse authentiquement catholique (…) publiée dans l’intention de former, d’affermir et de promouvoir des opinions publiques conformes au droit naturel, ainsi qu’à la doctrine et à la discipline catholiques ». Cette direction n’exclut pas l’information générale, telle que la pratique, par exemple, La Vie catholique de Georges Hourdin, mais l’ouverture au monde a pour limites le respect des principes doctrinaux et moraux.

Jusqu’aux années 1970, la presse catholique semble tiraillée entre la modernité et la tradition

La volonté des catholiques d’être de plain-pied dans une société en mouvement s’exprime de diverses façons, parfois sans attendre les orientations du Concile. En témoigne la prise en compte du poids grandissant des médias audiovisuels. Trois exemples l’illustreront. D’abord, la création, dès octobre 1949, de l’émission télévisuelle « Le Jour du Seigneur », que le Père Pichard produit jusqu’en 1976. Chaque dimanche matin, la diffusion de la messe s’accompagne d’autres séquences à caractère de magazine, soit 1 heure 30 d’émission au total consacrée au culte catholique. Deuxième cas emblématique, celui de Télérama, fondé en 1950 : édité par La Vie catholique, il diffuse à 80 000 exemplaires, au milieu des années 1960. Dernier exemple, enfin : en 1962, face au phénomène adolescent que consacre le succès de Salut les copains, la Bonne Presse lance Record. Certes, son influence est bien moindre que celui qui l’inspire, mais le magazine diffuse tout de même à 100 000 exemplaires.

Jusqu’aux années 1970, la presse catholique semble tiraillée entre la modernité et la tradition, l’engagement dans les affaires de la cité et le strict message doctrinal et pastoral, la fabrique d’une presse qui s’efforce d’appliquer l’Évangile en s’adressant à tous et la diffusion de journaux qui parlent aux seuls catholiques. Loin de Témoignage chrétien ou de Télérama, se distingue la très conservatrice France catholique de Jean de Fabrègues, tandis que l’antique Pèlerin peut compter, chaque semaine, sur plus de 500 000 fidèles. La grande diversité observée s’exprime dans les 130 titres parisiens et les 190 journaux de province, souvent au tirage limité, que l’Annuaire de la presse classe parmi les publications catholiques, au seuil des années 1970.

Les cultes minoritaires, eux, ne peuvent miser sur la puissance de leur presse (une vingtaine de journaux protestants, une dizaine de journaux juifs). D’une certaine manière, la télévision vient compenser leur manque de visibilité. Le dimanche matin, au « Jour du Seigneur » viennent d’agréger des émissions destinées aux réformés (1955), aux juifs (1962), aux chrétiens orientaux (1965).

Déclin et forces de renouveau

À partir des années 1970, les journaux catholiques sont entraînés dans la spirale du déclin de la presse écrite qui s’accélère. S’y ajoute pour eux une donnée sociologique, le repli de la pratique religieuse. Selon l’Ifop, on comptait 27 % de messalisants en 1952. Ils étaient encore 20 % en 1972. Mais ils ne sont plus que 5 % en 1987 (4,5 % en 2009). À l’inverse, d’autres cultes s’affirment, à commencer par l’islam, sans constituer cependant un réseau médiatique d’envergure.

La Croix traverse plusieurs crises, avant d’être relancée par Bruno Frappat, en 1995. Le journal privilégie l’information, tout en partageant une vision progressiste de l’Église. Avec environ 90 000 exemplaires, il s’appuie sur un public fidèle, mais doit compter sur les aides de l’État au pluralisme pour assurer sa pérennité. Certains titres ne résistent pas (Témoignage chrétien), d’autres s’éloignent de leur référence catholique (Télérama). La logique commerciale, si longtemps repoussée, s’impose : en 2003, le groupe La Vie catholique (Télérama, La Vie) fusionne avec le groupe Le Monde. Créée dès 1946, l’Association de la Presse catholique régionale s’emploie néanmoins à garantir l’indépendance d’une presse hebdomadaire menacée par le monopole, et fournit chaque semaine à ses adhérents une page d’information et des pages de programmes télévisés.

Héritier de la Bonne Presse, Bayard presse (1969) développe une stratégie de ciblage et de chaînage, notamment en proposant une large gamme de journaux éducatifs : les Belles histoires (1972) pour les 3-7 ans, Astrapi (1978) pour les 7-11 ans, Phosphore (1981) pour les 15-25 ans, Popi (1986) pour les 1-3 ans, Images doc (1999) pour les 8-12 ans... Le groupe comprend très tôt l’opportunité de s’adresser à la clientèle senior, avec Notre Temps (1968), dixième magazine par sa diffusion en 2016 (764 000 exemplaires). La presse spécifiquement catholique, au sens doctrinal du terme, devient marginale chez Bayard.

 Le principal renouvellement tient à la libéralisation des ondes et des antennes

Mais le principal renouvellement tient à la libéralisation des ondes et des antennes, dans les années 1980-1990, et touche tous les cultes. Alors que, sous l’impulsion de l’archevêque de Paris, Mgr Lustiger, est fondée Radio Notre-Dame (1981), se met progressivement en place le réseau des Radios chrétiennes francophones, voulu par la Conférence des évêques de France : Radio-Fourvière (Lyon, 1982) sert de noyau à un ensemble qui compte aujourd’hui 62 stations et touche quotidiennement 600 000 auditeurs. Puis, à l’initiative de Mgr Di Falco, est créé KTO (1999), chaîne desservie par Canal Sat, mais qui n’obtient pas l’accès demandé à la TNT (télévision numérique terrestre).

Parallèlement, et dès 1981-1982, d’autres confessions fondent leur radio : judaïsme (Radio J, Radio Shalom, Judaïques FM, RCJ), protestantisme (Fréquence protestante), islam (Radio-Orient). À la télévision, les émissions du dimanche matin s’ouvrent à de nouveaux pratiquants, musulmans (1983) et bouddhistes (1997).

Des médias comme les autres, la morale en plus

Au début du XXIe siècle, les différentes religions présentes en France s’inscrivent pleinement dans le paysage médiatique, par l’écrit, le son et l’image. La diversité n’est cependant pas source d’audience garantie.

La notion même de « médias religieux » apparaît très floue. S’ils agrègent des communautés de fidèles, la place donnée à la doctrine et au culte y reste marginale. Ils s’efforcent d’apparaître comme des médias ordinaires, « comme les autres ». Seul l’éclairage moral donné aux informations diffusées les en distingue vraiment.



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Crédits :
- Illustration : Ina. Martin Vidberg
- La Croix, Groupe Bayard, Gallica - BnF
- L'Écho de Paris : journal littéraire, artistique & politique du matin, Gallica - BnF
- Courrier français du Témoignage chrétien, Gallica - BnF
 

 

(1)

Presse-Actualité, 30 décembre 1966.

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