Studio Ghibli, un vent nouveau sur l’animation

Studio Ghibli, un vent nouveau sur l’animation

Le Studio Ghibli, référence mondiale en termes d'animation nippone, connaît un succès commercial remarquable sans compromettre ses ambitions artistiques, perpétuellement renouvelées sous l'oeil exigeant de Hayao Miyazaki.
Temps de lecture : 9 min

En 2002, le film Le voyage de Chihiro de Miyazaki Hayao(1) a connu un succès mondial sans précédent dans le monde de l’animation, rapportant au Studio Ghibli plus de 30 milliards de yens de recettes (soit 270 millions d’euros). Quelques années après Princesse Mononoké, qui avait ouvert la voie à l’international pour le Studio Ghibli, ce film fut largement salué par la critique, obtenant un Ours d’or à Berlin et l’Oscar du meilleur film d’animation. Ce fut pour le Studio Ghibli, presque 20 ans après sa création, une consécration et le résultat d’un pari risqué consistant à concilier la production de films d’animations de qualité avec des impératifs financiers. Retour sur un studio qui a fait souffler un vent nouveau dans le monde de l’animation japonaise.

Deux personnages hors du commun : Miyazaki Hayao et Takahata Isao

À l’origine du Studio Ghibli, il y a deux réalisateurs hors-du commun, Miyazaki Hayao et Takahata Isao. Ils se sont rencontrés dans les années 1960 au sein de Tôei Dôga, le plus grand studio d’animation au Japon. Takahata Isao y travaille à partir de 1961, comme assistant directeur, après avoir fait des études de littérature française dans la prestigieuse université de Tôkyô. Miyazaki Hayao, diplômé en science politique et en économie, entre comme dessinateur à la Tôei en 1964. Il se lie d’amitié rapidement avec Takahata Isao et Ôtsuka Yasuo, avec qui il milite au syndicat des travailleurs de la Tôei(2). Ensemble, ils réalisent le long-métrage Horus, prince du soleil en 1968, une œuvre qui marque un tournant dans le monde de l’animation, tant par les partis-pris techniques que parce qu’il est le reflet des contestations sociales de l’époque. L’équipe a surtout l’ambition très novatrice de produire un film qui ne serait pas destiné uniquement aux enfants. Ce qui n’est pas sans déplaire à la direction de Tôei qui impose tout au long de la réalisation plusieurs coupes et réécritures(3). Finalement, le film ne trouva pas son public et fut un échec commercial. En 1971, la Tôei Animation décida d’arrêter de produire des longs-métrages pour se concentrer uniquement sur une production à un rythme effréné de séries animées pour la télévision, ce qui déclencha la plus grande grève de son histoire et le départ de Takahata Isao et de Miyazaki Hayao.

Une filiale de Tokuma Shoten

Dans les années 1970, Miyazaki Hayao et Takahata Isao collaborent à plusieurs dessins animés dont certains mondialement connus (Heidi, la petite fille des Alpes, 1974 ; Le chien des Flandres, 1975). Miyazaki Hayao se met également, à partir de 1982, à dessiner un manga, Nausicaä de la vallée du vent, qu’il publie dans Animage, magazine de référence sur l’animation appartenant à la maison d’édition Tokuma Shoten. Tokuma Yasuyoshi, président de Tokuma Shoten encourage alors Miyazaki Hayao à réaliser un long métrage adapté du manga Nausicaä. Réalisé par le studio Topcraft, une filiale de Tokuma Shoten, il sort en 1984 et, à la surprise de Miyazaki Hayao lui-même, connaît un très grand succès commercial avec plus de 900 000 entrées au Japon. Dans la foulée, Miyazaki Hayao et Takahata Isao décident de réaliser Laputa, le château dans le ciel. Mais les effectifs de Topcraft sont trop faibles et Tokuma Yasuyoshi les encourage à créer leur propre studio.
 
Le Studio Ghibli est officiellement fondé en avril 1985. Hara Toru, l’ancien directeur de Topcraft, en prend la direction. C’est Miyazaki Hayao qui choisit le nom de Ghibli, en référence à un vent chaud du désert du Sahara, son intention étant de « provoquer une tornade dans le monde de l’animation japonaise » (nihon no animêshonkai ni senpû wo makiokosô)(4).
 
L’existence du studio est alors précaire, puisque seul le succès commercial d’un film permet de financer le suivant. Malgré le succès du film Le château dans le ciel en 1986, avec plus de 775 000 entrées et 580 millions de yens de recettes (soit 5,1 millions d’euros), bon nombre d’employés n’ont pas encore le statut de salariés et sont payés à l’image. Une pratique courante dans l’industrie de l’animation au Japon, mais que les deux anciens syndicalistes désapprouvent, car au-delà d’une grande ambition artistique, le Studio Ghibli veut défendre le statut des dessinateurs et les traiter en artistes à part entière.

Premiers succès et diversification des sources de revenus

Ce n’est qu’avec la sortie simultanée en 1988 du Tombeau des lucioles, de Takahata Isao et de Mon voisin Totoro, de Miyazaki Hayao, que le Studio Ghibli va enfin pouvoir se stabiliser financièrement. Ce deuxième film, destiné à un jeune public, réalise 800 000 entrées en cinq semaines(5). En août 1989, le Studio Ghibli passe un nouveau cap avec l’immense succès en salles de Kiki la petite sorcière qui réalise 2 640 000 entrées et 2,15 milliards de yens de recettes (soit 19 millions d’euros). L’autofinancement des films est désormais acquis et l’ensemble des dessinateurs est embauché et intégré au studio.
 
La création de licences pour la vente de produits dérivés du personnage Totoro (peluche, jouet, montre, calendrier, etc.) en 1990 permet à la société de réaliser de substantiels bénéfices(6). Totoro devient donc presque naturellement le logo du Studio Ghibli. Les produits dérivés du Studio Ghibli sont vendus exclusivement dans les magasins Donguri Kyôwakoku (littéralement, « la République des glands »).
 
C’est à cette époque que le Studio Ghibli met en place une stratégie de diversification des sources de revenus. Ghibli réalise par exemple plusieurs spots de publicité pour des grandes marques qui, en retour, financent parfois ses films ou ses projets. Studio Ghibli a également réalisé des clips pour des groupes de musique, et plus récemment, il a coproduit un jeu vidéo avec Level-5, Ni no Kuni, très proche graphiquement de l’univers des films de Miyazaki Hayao. Le Studio Ghibli produit aussi des documentaires, le dernier en date étant consacré à l’intellectuel Katô Shûichi, spécialiste de littérature japonaise et occidentale et militant pacifiste décédé en 2008. Les deux dernières activités prises en charge par le Studio sont mineures. Il s’agit d’abord de la publication de livres sur les films du Studio Ghibli (storyboard par exemple) réalisé toujours par Tokuma Shoten (cela constitue même un sous portail sur leur site). Ghibli possède cependant depuis son indépendance sa propre maison d’édition, la Ghibli Shuppan et commercialise les musiques de films.
 

Un spot publicitaire pour le groupe agro-alimentaire Nisshin Seifun, réalisé par Miyazaki Gôro, le fils de Miyazaki Hayao.


Bande d'annonce de Ni no Kuni.

L’ouverture du Studio Ghibli à l’international via Disney

En 1996, la société Tokuma Shoten, maison-mère du Studio Ghibli, passe un accord avec Disney pour la distribution à l’international des films Ghibli. Cet accord sonne comme un compromis pour Miyazaki Hayao qui garde un souvenir amer de l’« adaptation » de son film Nausicaä pour le marché américain. En effet, celui-ci avait non seulement subi une coupe de vingt minutes mais les dialogues avaient été réécrits et le message environnementaliste supprimé. De plus, la jeune Nausicaä était devenue dans la version américaine Princesse Zandra, et le titre changé (The Warriors of the Wind).
 
Studio Ghibli prit ainsi par la suite soin, dans le cadre de cet accord avec Disney, d’exiger que les films ne soient pas modifiés. Le Studio avait d’ailleurs été approché par Fox et Time Warner mais seul Disney apportait cette garantie(7). Au terme de cet accord, Disney obtint les droits de diffusion des films du Studio Ghibli dans le monde, à l’exception de l’Asie où la distribution est effectuée par Tokuma Shoten. De plus, le Studio Ghibli concéda au géant américain les droits mondiaux de distribution et de vente de VHS, puis de DVD du catalogue Ghibli, Japon inclus. En échange, Disney s’engagea à verser des royalties sur la vente des films et des vidéos.
 
Le Studio Ghibli s’est engagé dans un processus inverse depuis les années 2000 en important des films étrangers au Japon. Sous le label Ghibli Museum Library, le studio Ghibli a ainsi distribué au Japon de nombreux films d’animation français comme Le Roi et l’Oiseau (1980) de Paul Grimault, Kirikou et la sorcière (1998) de Michel Ocelot ou encore Les Triplettes de Belleville (2003) de Sylvain Chomet, mais aussi des films d’animations soviétiques comme Snezhnaya koroleva (La Reine des neiges, 1957) ou Konyok Gorbunok (Le petit cheval bossu, 1947)(8). Ce label est aussi l’occasion pour Miyazaki Hayao et Takahata Isao de racheter certains de leurs films comme Panda Kopanda (Panda petit panda) réalisé en 1972 par Miyazaki Hayao, Takahata Isao et Ôtsuka Yasuo, juste après leur départ de la Tôei.

Quel avenir après Miyazaki ?

En 1997, en raison d’importants déficits, le groupe Tokuma Shoten absorbe le Studio Ghibli. Les profits engendrés par le studio d’animation permettent de combler les déficits du groupe Tokuma qui décide de se recentrer uniquement sur son activité d’édition. En mars 2005, Tokuma Shoten retrouve sa stabilité financière et le Studio Ghibli, désormais bien plus rentable que Tokuma Shoten, acquiert son indépendance. C’est là l’aboutissement d’une véritable success story qui ne doit pas pour autant masquer une difficulté majeure pour ce studio : survivra-t-il à l’après Miyazaki Hayao ? En effet, l’une des différences que le Studio Ghibli cultive pour se démarquer des autres studios nippons est la mise en avant d’auteurs. À la différence de la Tôei Animation, il défend l’idée d&rsquorsquo;une équipe rassemblée autour d’un seul réalisateur. Au point que le Studio Ghibli se confond souvent avec la figure de Takahata Isao, et surtout de Miyazaki Hayao. Mais les deux réalisateurs se font âgés : Takahata Isao a atteint l’âge honorable de 75 ans tandis que Miyazaki Hayao vient tout juste de fêter en janvier ses 70 ans. Trouver des successeurs capables de reprendre le flambeau du Studio Ghibli est une quête que mène depuis longtemps son ex-président, Suzuki Toshio.
 
Dès 1989, celui-ci décida de créer un institut de formation. Après plusieurs échecs, il fonctionne à présent et permet au studio de former de nouveaux animateurs. Pour l’heure cependant, aucune figure significative n’a émergé. Miyazaki Hayao et Takahata Isao avaient pressenti Kondô Yoshifumi comme successeur pendant un temps, mais celui-ci mourut subitement en 1998.
 
L’écueil principal empêchant l’émergence d’un successeur semble être Miyazaki Hayao lui-même. Souvent décrit comme un vrai bourreau de travail, il intervient sur presque toute question liée au Studio. Pour le film Kiki la petite sorcière par exemple, il ne devait assurer au départ que la production, étant déjà occupé par la réalisation de Mon voisin Totoro. Mais il s’imposa finalement comme réalisateur, estimant que personne à part lui n’était capable de le réaliser. En 2002, alors que la réalisation du film Le château ambulant est confiée par Suzuki Toshio à Hosoda Mamoru, celui-ci doit se retirer et laisser sa place à Miyazaki Hayao qui demande à l’équipe de tout reprendre à zéro alors que le film était déjà en cours de réalisation. Le Studio Ghibli entre alors en crise et ferme ses portes pendant six mois « pour permettre à tout le monde de se reposer »(9). Pour Hosoda Mamoru, cela ne fait aucun doute : « Le studio Ghibli est une structure qui a été créée essentiellement pour permettre à Monsieur Miyazaki de produire ses œuvres et malheureusement pas pour créer d’autres choses »(10).
 
En 2006, la réalisation de l’adaptation du livre d’Ursula K. Le Guin, Les Contes de Terremer, fut confiée à Miyazaki Gôro par Suzuki Toshio, contre l’avis de son père qui ne l’en croyait pas capable. Le film connut un succès en terme d’entrées mais fut aussi violemment critiqué : l’hebdomadaire Shûkan Bunshun lui accorda par exemple le prix du « plus mauvais film de l’année » et le prix du « plus mauvais réalisateur » pour Miyazaki Gôro. Pourtant, pariant peut-être sur un effet de marque, le Studio Ghibli a annoncé récemment que son prochain film, Kokuriko zaka kara (Depuis la pente Coquelicot) sera réalisé à nouveau par Miyazaki Gôro, avec l’aide cette fois-ci de Miyazaki Hayao, en charge du projet(11). Après tout, qui de mieux qu’un Miyazaki pour succéder à Miyazaki...

Données clés

  • Raison sociale : Société Anonyme Studio Ghibli (Studio Ghibli Inc.)
  • Création : Juin 1985
  • Date de l’indépendance : Avril 2005
  • Président directeur-général : Hoshino Kôji (depuis 2008)
  • Nombre d’employés : 300 personnes
  • Capital : 10 millions de yens (soit 90 000 euros)(12)
  • Bénéfices nets : 903 millions de yens (soit 8 millions d’euros)
  • Actif net : 6,6 milliards de yens (soit 59 millions d’euros)
  • Total de l’actif : 13,5 milliards de yens (soit 121 millions d’euros)
  • Principales banques : Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ, agence de Mitaka ; Sumitomo Mitsui Banking Corporation, agence de Mitaka ; CITIBANK, agence de Ôtemachi

Références

Raphaël COLSON, Gaël RÉGNER, Hayao Miyazaki. Cartographie d’un univers, Les moutons électriques, Lyon, 2010.
 
Helen MCCARTHY, Hayao Miyazaki: Master of Japanese Animation, Stone Bridge Press, Berkeley, 1999.
 
Colin ODELL, Michelle LEBLANC, Studio Ghibli: The films of Hayao Miyazaki and Isao Takahata, Kamera Books, Harpenden, 2009.
 
Hayao MIYAZAKI, Starting Point: 1979-1996, VIZ Media, San Francisco, 2009.
 
 
 
Site de Buta Connection 


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Crédit photo : logo Studio Ghibli / Wikipedia
(1)

Conformément à l’usage au Japon, le patronyme est placé en premier. 

(2)

Miyazaki devint d’ailleurs, après la grève de 1964, secrétaire général et Takahata, vice-président du syndicat. Cf. Raphaël Colson, Gaël Régner, Hayao Miyazaki. Cartographie d’un univers, Les moutons électriques, Lyon, 2010, p.18. 

(3)

L’action devait se situer au départ au sein du peuple Aïnou de l’île d’Hokkaidô, au nord du Japon, colonisé au XIXe siècle par les Japonais. Le sujet étant tabou dans l’Archipel, les dirigeants de la Tôei imposèrent la Scandinavie comme nouveau cadre. Trente ans plus tard, Miyazaki situera cependant le début de son film Princesse Mononoké dans un village des Emishi, autre nom pour les Aïnous. Sur les Aïnous, Cf. Arlette Leroi-Gourhan, André Leroi-Gourhan, Un Voyage chez les Aïnous - Hokkaïdo 1938, Albin Michel, 1989. 

(4)

Site officiel du Studio Ghibli, « Histoire du Studio Ghibli » (Sutajio jiburi no rekishi).

(5)

Recettes du film: 1,17 milliards de yens (10,4 millions d'euros). Recettes de distribution: 588 millions de yens (5,2 millions d'euros). 

(6)

De « Studio Ghibli : Official History » : « …[T]hanks to the sale of Totoro merchandise, it became possible for Studio Ghibli to cover deficits in the production costs of its other films. […] Although Ghibli has now set up an internal division to promote the sale of character goods, the studio’s policy that film production comes first and merchandizing of its characters comes later, has not changed. Ghibli has never made, and will never make, any decision regarding one of its films based on expected merchandizing value. »

(7)

Cet accord n’a cependant pas empêché au départ quelques pressions. Pour la diffusion de Princesse Mononoké, Disney demanda à ce que certaines scènes jugées trop violentes pour le jeune public américain soient coupées. Face au refus du Studio Ghibli et aux succès grandissant de ses films à l’international, il semble que Disney ait depuis abandonné ses griefs. 

(8)

La traduction en japonais des films d’animations français a d’ailleurs été réalisé par Takahata Isao lui-même. 

(9)

Raphaël Colson, Gaël Régner, Hayao Miyazaki. Cartographie d’un univers, Les moutons électriques, Lyon, 2010, p.182. 

(10)

Interview de Hosoda Mamoru, Mata-Web, 14 juin 2010. 

(11)

Voir le site officiel du film mis en ligne le 15 décembre 2010. 

(12)

Selon le taux de change au 14 décembre 2010 (1 euro = 111,63 yens). 

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