Le Groupe Canal+ : le leader incontesté de la télévision payante en France

Le Groupe Canal+ : le leader incontesté de la télévision payante en France

Depuis sa création en 1984, Canal+ jouit d'une popularité que ne confirme pourtant pas ses audiences plutôt confidentielles et est devenu un acteur majeur du paysage audiovisuel français.

Temps de lecture : 10 min

Premier opérateur de télévision payante en France, le groupe Canal+ est surtout connu pour la chaîne éponyme qui fut, à sa création en 1984, un événement majeur. Il s’est développé sur l’offre des bouquets de chaînes avec Canalsatellite en 1992, devenu Canalsat en 2005, et est parvenu à absorber son concurrent majeur du secteur, TPS, après une longue bataille, en 2006. Une fusion, attendue par les marchés financiers et les experts du secteur pendant de nombreuses années dont le Groupe Canal+ sort victorieux. Le groupe est aujourd’hui détenu à 100 % par Vivendi qui s’est allié au groupe Lagardère (à hauteur de 20 %) dans le capital de Canal+ France qui détient 49 % de la chaîne Canal+ (le reste étant détenu par divers actionnaires en minorité tels Pathé, le Crédit Suisse First Boston ou Edmond de Rothschild)(1) .

Les développements du groupe Canal+ à l’international et sur le secteur de la production et de la distribution de films de cinéma en font l’un des acteurs majeurs de l’audiovisuel en France et de l’offre francophone à l’étranger. Mais à l’heure du « quadruple play », les défis sont de taille pour le  groupe Canal+. En effet, depuis l’émergence de la télévision numérique terrestre (TNT) en France et du développement d’opérateurs globaux dont l’offre télévisée complète l’offre de téléphonie (fixe et mobile) et d’accès internet, Canal+ a dû changer de technologie de diffusion et de stratégie commerciale. Face à des opérateurs qui ont, pour certains, développé des offres de contenus (principalement Orange), le groupe Canal+ a du s’adapter à une concurrence nouvelle sur ce marché qui a connu une véritable révolution de ses modes de diffusion et de ses usages. Mais il bénéficie toujours d’une image extrêmement positive comme l’indique son classement en quatrième position dans l’étude annuelle du cabinet Universum qui sonde les étudiants sur leurs entreprises préférées.

Les enjeux technologiques, sources de risques

Canal+, depuis son lancement, suivi de la création de Canalsat, s’assure une part de revenu conséquente (évaluée à 100€ annuels par abonné à une des offres exclusivement auto-distribuée(2) ) par la gestion de son mode de diffusion en créant des décodeurs que la chaîne est la seule à commercialiser (sous forme de location incluse dans le tarif de l’abonnement). Le groupe a toujours essayé de garder la main sur cette technologie, source de revenus captifs. Mais la convergence vers un mode de diffusion unique, le numérique terrestre, l’arrivée de diffuseurs nouveaux commercialisant les offres du groupe et le passage progressif à la norme HD (haute définition) ont changé la donne. Misant sur l’innovation qui caractérise le groupe, Canal+ a lancé plusieurs vagues de modifications technologiques au cours des dernières années, du changement de décodeur généralisé à la création de Pilotime (premier décodeur enregistreur qui permet l’arrêt sur image du direct en 2003) au Cube lancé en 2008 et permettant de bénéficier, à la demande, de programmes en avant-première, comme les séries télévisées, acquises par la chaine, dès leur diffusion américaine.

Le groupe a cependant du revoir son modèle de commercialisation directe et exclusive de ses offres en permettant à d’autres opérateurs de les proposer à leurs abonnés (Numéricable, Orange, Free, …). L’arrivée des offres « triple play » (téléphonie fixe, Internet et télévision), devenues entre temps « quadruple play » (téléphonie mobile en sus), a en effet, profondément modifié les comportements en termes d’abonnements et de modes de réception des bouquets de chaînes.

L’année 2009 fut été assez significative des difficultés d’évolution du groupe Canal+ suite à la fusion avec TPS et à la diversification de ses offres. Canal+ se retrouve en effet, à gérer plus de dix modèles de décodeurs présents chez les particuliers et commence la migration de tous ses abonnés au numérique -chantier qui devrait être totalement réalisé à la fin de l’année 2010.

Les conséquences de ces problématiques technologiques se ressentent sur le taux global de résiliation qui atteint 13,3 % au premier trimestre 2009. Notons que celui-ci a baissé sensiblement au premier trimestre 2010 à 12 %.

Diversifications, territoires et nouveaux supports

Si le groupe revendique aujourd’hui 12,5 millions d’abonnés dans le monde, c’est en prenant en compte ses développements sur les cinq continents, le plus souvent sous forme d’accords avec des distributeurs locaux existants. En plus de son implantation dans les Dom-Tom, la filiale Canal Overseas est le premier groupe d’audiovisuel extérieur français, présent dans plus de 40 pays, en Afrique Subsaharienne (Canalsat Horizons) et en Pologne où la joint-venture Cyfra + compte plus d’1,5 million de foyers abonnés. En janvier dernier, le groupe créait un bouquet au Viêtnam, K +, grâce à un accord avec le chaîne locale VTV.

Les développements du groupe passent aussi par la diversification des supports de diffusion et la veille prospective développée sur les innovations.

En sus de la diffusion via ses propres décodeurs et par l’intermédiaire des box des opérateurs du marché, les bouquets de Canal+ sont aussi adaptés à la diffusion « multi-support » : sur les téléviseurs connectés à Internet, sur les consoles connectées Xbox 360 et consoles portables comme la PSP, ainsi que sur les téléphones mobiles ou smartphones comme l’iPhone et même l’iPad d’Apple ou sur les ordinateurs, notamment grâce à un accord signé avec Microsoft lors de la mise sur le marché de Windows 7.

 Le  département « Canal+ Active » du groupe a été le premier à lancer en France des services à la demande: catch up tv ou télévision de rattrapage qui permettent aux abonnés de Canal+ ou de Canalsat de visionner à la demande sur sa télévision ou sur son ordinateur la plupart des programmes des bouquets. Ce service rencontre un large succès avec plus de 20 millions de programmes visionnés au cours de l’année 2009. Canal Play, offre bi-média (Tv et Internet) de V.O.D. (Vidéo On Demand, ou à la demande) payante complète cette offre et comptabilise 15 millions de téléchargements depuis son lancement à la fin de l’année 2005. Après avoir commencé à œuvrer pour rendre certaines de ses chaînes accessibles en haute définition, Canal+ a également réalisé lors de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud des essais lui permettant d’être prêt à diffuser des programmes en direct et en 3D, anticipant ainsi la prochaine révolution technologique annoncée.

De par sa proactivité sur les nouveaux supports et en offrant des services innovants, le groupe Canal+ a réussi à être l’un des fers de lance français de ces nouveaux territoires, rétablissant l’image de diffuseur innovant qui avait tendance à se déliter depuis la création de sa chaîne-vitrine en 1984.

Le portefeuille de chaînes, carte maîtresse des bouquets

La chaîne Canal+ est, et devrait rester le navire amiral du groupe. Elle a proposé, dès sa création, des films inédits et récents et de nombreux matchs de football en exclusivité. La chaîne a fait de ses tranches horaires en clair (le matin, le midi et l’access prime time) un lieu de créations d’émissions innovantes ; lieu qui fut marqué par la popularité et la longévité de « Nulle part ailleurs » de Philippe Gildas et Antoine de Caunes, émission d’accueil phare, dont « Le Grand Journal » a, après quelques années d’errements sur la case, repris les attributs en termes d’ « esprit Canal ». Une réputation d’humour et de défricheur de tendances qui n’est pas sans oublier la mise en place d’une case dédiée à la diffusion d’un film pornographique, le samedi à minuit, et d’une émission dédiée à la satire politique (Les Guignols de l’info) qui firent aussi beaucoup pour l’image rebelle de la chaîne.  

Le lancement du bouquet Canalsat a par ailleurs été accompagné par la création de nombreuses chaînes, telle que I-Télé en 1999. Cette chaîne d’information en continu, dans un premier temps filiale de la chaîne, puis du groupe Canal+ représente toujours un enjeu important pour le groupe face à la concurrence de LCI (créé par TF1 en 1995 et BFM TV du groupe Next créée en 2005) .

Suite à la fusion avec TPS, quelques chaînes faisant doublons disparaîtront afin de constituer des offres cohérentes  qui constituent autant d’options pour l’abonné : Canal+ France détient le bouquet Premium qui regroupe Canal+ et ses déclinaisons (Décalé, Sport, Cinéma, Family et la version de Canal + en HD), les chaînes Sport + et TPS Star, et les Multithématiques, filiale à 100 % du groupe, qui proposent les chaînes CinéCinéma (9 déclinaisons thématiques), Planète (4 chaînes documentaires), des chaînes pour enfants (Télétoon, Piwi, …) ou thématiques de « niche » (Comédie, Jimmy, Seasons, Infosport, Cuisine tv, …).

La bataille des programmes : cinéma et football en avant

La bataille des programmes est clairement le nerf de la guerre pour un opérateur de télévision payante. Le cinéma et le sport (en particulier le football) étaient déjà les deux points forts de différenciation et d’intérêt au lancement de la chaîne Canal+ et c’est sur ces deux terrains que le bouquet TPS (offensive conjointe de France Télévisions, de TF1 et de M6) a attaqué de front l’opérateur unique de télévision payante suite au lancement de Canalsatellite avant de s’avouer vaincu en 2007.

Le cinéma et Canal+ ont eu, dès l’origine, une relation particulière héritée du cadre légal mis en place pour la création de la première chaîne à péage en France. La chaîne obtient l’autorisation de diffuser les films plus rapidement après leur sortie en salles en contrepartie d’un engagement à financer le cinéma en y consacrant une partie de son chiffre d’affaires.
 

Aujourd’hui, la chaîne consacre près de 170 millions d’euros par an à son aide à la production cinématographique et bénéficie en contrepartie d’une TVA réduite à 5,5 %. Avantage que le gouvernement français avait récemment remis en cause avant de se rétracter, par la voix du Président de la République, devant les réactions virulentes des professionnels du secteur.

Mais, suite à ce débat, la taxe due par Canal+ au Cosip (compte de soutien aux industries de programmes audiovisuels) a été relevée de 4,5 % à 6,7 %.
 

Les différents renouvellements d’accords entre Canal+ et le cinéma, qui établit le reversement de 12,5 % de son CA a des productions européennes (dont 9,5 % pour les œuvres françaises) ont réellement modifié le modèle économique des films en France, permettant le maintien d’un nombre record d’œuvre produites et distribuées chaque année tout en créant une concurrence bénéfique au secteur (TPS hier, Orange aujourd’hui).
 

A titre d’exemple de cette dynamique le CNC indique dans son rapport de 2002 que le total des investissements des chaînes de télévision dans la production cinématographique française a plus que doublé dans les années 1990, passant de 367 à 749 millions d’euros (période 1991-2001).
 

Dès 1988, une filiale de production et de distribution est créée sous le nom de Canal+ Productions. Aujourd’hui, StudioCanal, filiale à 100 % du groupe, est un acteur européen majeur du financement, de l'acquisition et de la distribution de films. La filiale produit, notamment en partenariat avec Universal Pictures (groupe Vivendi) au sein de Working Title, distribue des films en salles, en DVD et sur les services à la demande payants. De plus, Canal+ bénéficie d’accords spécifiques avec des événements aussi emblématiques que le Festival de Cannes, les cérémonies des Césars et des Oscars qui lui assurent une visibilité idéale dans les lieux de pouvoir et de décision de la planète « cinéma ».


L’enjeu majeur en termes de droits sportifs s’est porté sur l’autre domaine mis en avant au lancement de la chaîne : le football, et surtout le championnat de France de Ligue 1. Les droits télévisés de la Ligue 1 ont, eux aussi, profité de la mise en concurrence de Canal + par TPS. Ils ont été multipliés par vingt entre 1988 et 2008, soit de 33,5 millions d’euros à 668 millions d’euros par an pour la période 2008-2012.
 

Mais Canal+ et les chaînes dédiées au football de ses bouquets ont su tirer leur épingle du jeu restant la référence en termes de chaîne payante des amateurs de football. Et ce, malgré la volonté d’Orange, qui, au lancement de ses propres chaînes a visé ostensiblement son concurrent sur le cinéma et le football en lançant Orange Cinéma Séries et Orange Foot (devenu Orange Sport, six mois après sa création) et qui a jeté l’éponge sur les droits du football laissant ouvertes les prochaines négociations de 2012.
 

Prévoyant, Canal+ a racheté une société spécialisée dans l’organisation d’événements sportifs tels que l’Open de tennis de Lyon (Occade Sport) et a créé Canal Events qui est également chargé de commercialiser les droits de la Ligue 1 dans le monde.
 

Les séries télévisées, nouveaux enjeux de contenu

La compétitivité en matière de programmes se joue également sur un nouveau pôle, les séries télévisées qui sont devenues ces dix dernières années un territoire majeur d’affrontements entre diffuseurs. Canal+ l’a compris tôt, étant le premier groupe audiovisuel français à s’intéresser de près à la « nouvelle vague » de le série américaine « de qualité » en proposant des séries telles que Desperate Housewives, Weeds ou Dexter quitte au départ à les tester sur Jimmy, autre chaîne du groupe, comme ce fut le cas pour Six Feet Under dès 2001. Ce n’est donc pas un hasard si, au lancement de son bouquet Orange Cinéma Séries en 2008, l’opérateur a beaucoup communiqué sur son accord avec HBO, chaîne câblée américaine connue pour être à la pointe de la nouvelle génération de séries télévisées.
 

Mais Canal+ a aussi su développer ses propres séries sous le label « Création Originale », promptes à rivaliser avec leurs aînées américaines (Mafiosa, Maison Close, ou encore Engrenages vendue notamment à la BBC) en termes de qualité, d’audience et surtout, d’incitation à l’abonnement à ses bouquets. Donner envie restant le cœur de métier d’un groupe qui vend du divertissement.

D'une audience confidentielle à un géant audiovisuel

Le paradoxe du développement du groupe, c’est qu’il est basé sur une chaîne à forte image dont l’influence a toujours été beaucoup plus forte que les parts d’audience qui représente environ 3,1 % sur l’année 2009. Canal+ a su tirer profit de cet atout de taille pour construire le plus grand groupe audiovisuel français.

Si le groupe présente des résultats financiers en constante évolution, il lui a fallu accompagner à la fois les bouleversements techniques dus aux nouveaux médias et à l’évolution du mode de consommation du divertissement et les négociations régulières des différents cadres légaux et professionnels auxquels il est fortement lié.

Grand financier du cinéma français, acheteur majeur de droits sportifs, opérateur sur des technologies en mutation constante et dans un univers fortement réglementé par l’Etat, le groupe Canal+ a prouvé sa capacité de maîtrise des risques multiples auxquels il est exposé. Son rôle majeur dans la production cinématographique française est de plus en plus prégnant même si le groupe a souvent l’impression d’être celui sur qui repose financièrement la défense de la fameuse « exception culturelle française ». Ses récents développements de bouquets de chaînes en joint venture au Viêtnam et en Pologne peuvent marquer une volonté de croissance forte à l’international et hors de ses territoires traditionnels de la francophonie.
 

Le groupe Canal+ dépend avant tout de ses abonnés et ceux-ci manifestent depuis quelques années une plus grande volatilité. Parallèlement à ses formules d’abonnement de plus en plus diversifiées (un abonnement à Canal+ limité aux week-ends, une offre CanalSat « low cost »), il doit maintenir son niveau en termes d’éditions de chaînes, de production, de créativité dans les programmes et d’attractivité de son offre.
 

Et ce même si la concurrence ne lui résiste jamais longtemps. En effet, les dirigeants d’Orange seraient en train de négocier la reprise de leur bouquet Cinéma Séries par le groupe Canal+. Avec le projet de revente de sa chaîne dédiée au sport[5], cela signerait la fin de la politique d’édition de chaînes d’Orange et la reprise par le groupe Canal+ de sa position de 1984, un quasi monopole dans l’édition de chaînes de télévision payante en France. Mais la force du groupe reste très liée à ce qui a fait son succès : l’image de sa chaîne « premium ».

Données clés

Président du groupe Canal + : Bertrand Meheut
 

Chiffre d'affaires 2009 : 4 553 millions d'euros.
 

Nombre de salariés (à fin 2009) : 4347
 

Abonnements (à fin 2009) : Canal+ France (métropole, DOM-TOM, Afrique) compte 10,8 millions d'abonnements à ses offres de télévision. La totalité des abonnements du groupe Canal+ (incluant la Pologne et le Viêtnam) atteint 12,5 millions.

 

Bibliographie sélective

Valérie LECASBLE, Le Roman de Canal+, Grasset, 2001
 

Josepha LAROCHE et Alexandre BOHAS, Canal+ et les majors américaines : une vision désenchanté du cinéma-monde, L’Harmattan, 2008
 

Christophe FOUASSIER, Le Droit de la création cinématographique en France, L’Harmattan, 2004

    (1)

    Actionnariat et logos des différentes entités sur la plaquette de présentation du groupe Canal+. 

    (2)

    Lire à ce sujet l'avis n°2009-0172 de l’ARCEP portant sur les relations d’exclusivités entre activités d’opérateurs de communications électroniques et de distribution de contenus et de services.

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris