Un arsenal étatique contre la « dictature culturelle » made in Hollywood
Depuis le début 2006, sur les terrains de Guarenas, tout près de Caracas, la Fundación Villa del Cine officie comme un producteur très actif : son budget, supérieur à celui-là même du CNAC, lui permet de soutenir de nombreux projets, des premiers films à des films historiques au coût de production très élevé. Si, auparavant, il n'était pas rare de voir se monter – difficilement – une structure de production pour les besoins d'un seul film, les nouveaux cinéastes peuvent aujourd'hui espérer obtenir leur première chance grâce aux opportunités offertes par la Villa del Cine. La structure, qui offre 400 m2 de studios et un matériel de postproduction des plus modernes, ne contribue pas seulement à faire grimper les chiffres de la production de films nationaux, qui a atteint un total de 30 titres sur l'année 2013, dont 22 produits ou coproduits par le producteur de statut public ; elle permet également de renouveler le sang artistique, les sujets et les points de vue d'une création cinématographique qui avait besoin de se défaire de ses habitudes (le documentaire politique, le film « misère », le film « violence »).
Le succès de films « neutres » a obligé la Villa del Cine à continuer sur la voie d'un cinéma moins idéologique, et à faire des progrès sur des genres jusqu'ici peu ou mal exploités
Azul y no tan rosa, la « pépite » de 2013, audacieuse dans ses sujets, a d'ailleurs bénéficié de l'appui de la Villa del Cine, de quoi faire mentir tous ceux qui auraient envie de présenter le producteur étatique comme une structure forcément fermée, où seuls les discours formatés auraient droit d'entrée. Des réalisateurs comme
Alejandro Bellame ont fait remarquer à juste titre que le succès en salles – et critique – de films « neutres » comme
Comando X (2008) ou
Zamora (2009) a obligé la Villa del Cine à continuer sur la voie d'un cinéma moins marqué idéologiquement que par le passé, et à faire des progrès sur des genres jusqu'ici peu ou mal exploités, comme la comédie (
La pura mentira, une belle réussite datée de 2012) et le film policier (
Muerte en alto contraste,bel exemple2010).
Le pari est réussi si l'on considère que le nombre de Vénézuéliens allant voir des films nationaux en salles est passé de 77 000 sur l'année 1994 à
plus de deux millions en 2012. Il faut néanmoins préciser que le regain de considération pour la production nationale en salles a aussi été poussé, en grande partie, par le nouveau cadre de défense posé par la Ley de Cine version 2005. Si l'article 30 garantit que « la sortie en salles de toute œuvre cinématographique vénézuélienne sera assurée » (nombreux étaient les films, auparavant, à être bloqués sur les étagères et à ne jamais trouver une place pour diffusion en salles), un « quota minimum de projection est fixé » : il dépend du nombre d'écrans dont dispose la salle ou le complexe considéré mais, dans tous les cas, un film vénézuélien se voit assurer un temps d'exposition d'au moins deux semaines. Pour aider à la valorisation des films locaux en salles, le pendant de Villa del Cine a par ailleurs été mis en place au niveau de la distribution, et ce dès 2005, avec Amazonia Films, l'autre arme pour lutter contre la « dictature cultuelle » exercée par Hollywood, présentée comme l'égal d'une dictature militaire par Hugo Chávez lui-même.
Au début de l'année, 3 des des 24 États vénézuéliens ne comptaient encore aucun écran
Dernière stratégie déployée : le développement du nombre de salles, et en priorité des salles proposant un cinéma « alternatif ». La Fundación Cinemateca Nacional a notamment été agrandie et les pouvoirs publics repèrent les cinémas à l'abandon ou peu rentables pour offrir plus de fenêtres au cinéma national et aux films d'auteur. À noter que début 2014,
3 des 24 États vénézuéliens ne comptaient encore aucun écran (contre 364 écrans au total dans le pays).
Les deux défis de l'avenir : l'adaptation au numérique et la formation aux métiers techniques
Le journaliste Alexis Correia, du journal
El Nacional, n'a pas hésité à définir Hugo Chávez comme «
un président cinématographique ». Devant l'arsenal efficace déployé sous l'ère chaviste, il est difficile de renier ce titre à celui qui a tenu la tête du pays pendant un peu plus de 14 ans. Mais le futur se présente avec son lot de défis, avec, en premier lieu, le défi de l'adaptation au numérique, qui représente un enjeu économique de taille. À cette heure, le Venezuela ne produit pas la technologie permettant d'aligner ses salles sur le format numérique, et les problèmes de change de la monnaie rendent impossible la réunion des sommes nécessaires, en dollars US, pour acquérir l'équipement aux États-Unis. Par conséquent, toutes les copies digitales de films en provenance de l'extérieur sont passées au format classique du 35mm, une opération qui représente un coût conséquent et teinté d'absurde. Autre grand pari de modernisation : mieux former aux métiers techniques. Là encore, malgré les efforts de l'État pour développer les cursus et s'équiper en matériel de pointe, la marge à combler reste évidente.
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Crédits photos :
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Bólivar, grande production portée par la Villa del Cine, Caracas, août 2013 /
Villa del Cine
- Entrée principale de la Villa del Cine /
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