Lagardère, un géant des médias et de l’édition en plein repositionnement

Lagardère, un géant des médias et de l’édition en plein repositionnement

Suite à des résultats décevants, la stratégie du groupe français, géant mondial de l’édition et de la presse magazine, laisse dubitatif le monde économique.  

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Un coup dur de plus. Le 20 septembre 2010, le groupe Lagardère a été sorti du CAC 40 par le Conseil Scientifique des Indices. Il a été rétrogradé dans le second marché de la bourse de Paris (le CAC Next 20) en raison de la baisse du cours de son action. Le groupe n'a plus une capitalisation et des échanges quotidiens suffisants pour rester dans le marché phare de la Bourse de Paris duquel il est pensionnaire depuis 1994. Cette sanction illustre les difficultés du monde économique à comprendre la stratégie d'un groupe médias international né en 1981 avec l'acquisition de Hachette par Jean-Luc Lagardère, alors PDG de Matra.
 
Une nouvelle bévue pour Arnaud Lagardère dont l’autorité avait été contestée au printemps par Guy Wyser-Pratte, un petit actionnaire, venu des États-Unis pour faire entendre de sévères critiques. La tentative de putsch de l’Américain a échoué mais elle aura permis de débattre de la stratégie de ce groupe qui emploie 26 813 salariés et qui est doté d'un budget de fonctionnement de 7,35 milliards d'euros.

La communication plutôt que l’armement

 

Depuis qu'il a pris les rênes de l'entreprise familiale à la mort de son père, Jean-Luc, en mars 2003, Arnaud Lagardère a entrepris de recentrer son entreprise autour de la communication et des médias. Le jeune patron (il aura 50 ans en mars 2011) s'intéresse plus aux médias et au sport qu'à la gestion complexe d'EADS, la société franco-allemande qui fabrique les Airbus et les Eurocopters, dont il détient 7,5 % du capital. Mais ce positionnement a des limites : comme tous les groupes médias de la planète, le groupe Lagardère est très dépendant des aléas du marché publicitaire. Dès le début de la crise financière, le cours de l'action s'est effondré à la bourse de Paris, passant dès septembre 2008 sous la barre des 30 euros (elle était aux alentours de 60 euros un an plus tôt). Car, en effet, la récession a eu un lourd impact sur les finances du groupe. Lagardère Active, la branche médias du groupe, a vu ses recettes publicitaires chuter de 24 % en 2009. Sur cet exercice, l’ensemble du groupe a réalisé 7,892 milliards d'euros de chiffres d'affaires. Une donnée en baisse de 4 % par rapport à 2008. Le groupe reste bénéficiaire grâce notamment à la bonne forme de sa branche édition (Lagardère Publishing). Le résultat opérationnel consolidé est de 461 millions d’euros en 2009 contre 647 millions d’euros en 2008. 
 
Mais ce repli est conjoncturel. L'annus horribilis de l'activité médias (et notamment presse) a plombé les résultats. La direction du groupe et les petits actionnaires ont pu constater, satisfaits, que la reprise du marché est nette depuis le 1er janvier 2010 et qu'en conséquence les résultats du groupe sont repartis à la hausse au premier semestre 2010. Preuve que la diversification groupe est plutôt bien pensée. D'ailleurs la branche médias ne représentait que 22 % du chiffre d'affaires du groupe en 2009.

Car comme tout groupe média qui veut être solide et pouvoir résister, Lagardère est bien diversifié et implanté autant en Europe et aux États-Unis que dans les pays émergeants. En effet, il est composé de 4 branches : Lagardère Active, qui regroupe l'ensemble des activités médias, Lagardère Publishing, qui rassemble toutes les filiales dans le secteur de l'édition, Lagardère service qui gère 3 800 magasins dans 20 pays à travers le monde (Relay, Virgin Megastor entre autres) et, enfin, Lagardère Unlimited, la branche consacrée au sport business qu'Arnaud Lagardère veut à tout prix développer.

L'édition, seul secteur qui ne connait pas la crise

 

 

 
La branche édition est de loin la plus rentable du groupe. Grace à Hachette livre, le groupe est le deuxième éditeur mondial (derrière Pearson) et le premier d'Europe. Il est présent dans tous les secteurs de la littérature, à l'éducation, aux dictionnaires en passant par les guides illustrés avec, en France, des marques aussi diverses qu'Armand Colin, Calmann-Lévy, Éditions du Chêne, Éditions Didier, Éditions Stock, Fayard, Grasset, Hachette Collection, Harlequin, Harrap, Hatier, JC Lattès, Larousse, Le Routard, Le Livre de poche, Marabout, etc. Le groupe est bien implanté au Royaume-Unis (avec Harrap's et Octopus Publishing Group) ainsi qu'aux États-Unis (avec les anciens Warner Book), en Australie, en Espagne, etc.
 
Le succès planétaire de la saga Twillight de Stephenie Meyer (30 millions d'exemplaires vendus en 2009) éditée par Young Readers (États-Unis) a apporté des liquidités à la filiale qui s'est également illustrée par la publication des mémoires du sénateur Ted Kennedy ou, en France, par Un roman français de Frédéric Beigbeder (prix Renaudot). Malgré ses bons résultats, le groupe fondé sur des acquisitions, doit aujourd'hui affronter le virage numérique qui va bouleverser le monde de l'édition. Il va falloir développer de larges plateformes adéquates et performantes et, surtout, se battre pour ne pas laisser les géants d'Internet (Google, Apple, Microsoft, etc.) dominer ce segment au risque de voir son modèle économique mis en danger comme l'a été l'industrie du disque. C'est probablement un des plus importants défis industriels de la décennie à venir que Lagardère doit affronter avec des moyens inférieurs aux pure-players.
 
Dans les médias, le groupe réalise la moitié de ses recettes en France avec, évidemment, la puissante branche magazine du groupe (Elle, Télé 7 Jours, Fémina, Paris Match, etc.), mais aussi les radios Europe 1, RFM et Virgin Radio, la chaîne Gulli (co-détenue avec le groupe France Télévisions), des chaînes du câble et du satellite (June, Canal J, MCM, Mezzo, etc.) et dans la production de programmes télé (Julie Lescaut, Joséphine Ange Gardien, C dans l'air ou Mafiosa, etc.).

À l'international, le groupe possède 25 stations de radio de part le monde avec une forte implantation en Europe de l'est. Elle possède ainsi des filiales notamment en Russie (Europe Plus ou Retro FM), en Pologne, en Roumanie, en République Tchèque, en Slovaquie, en Allemagne ou en Afrique du Sud.
 
Mais l'essentiel du développement international du groupe repose sur les déclinaisons de ses magazines phares. Ainsi Elle compte plus de quarante trois versions dans le monde (la dernière version en date lancée au Vietnam le 21 octobre 2010). Psychologie, Elle déco, Car and Drivers ou Women's day sont également très déclinés. La plupart du temps, Lagardère s'associe à un opérateur local et a ainsi investi dans de nombreux pays émergeants, donc stratégiques (Russie, Chine, Brésil, Inde, etc.). La présence de ses titres en Asie du sud a permis au groupe de bien résister à la crise financière. Seule limite au développement de ces titres, les réglementations internationales sévères en matière de presse. Par protectionnisme, certains États ne laissent au groupe que la possibilité de commercialiser ses marques sous forme de licences éditées par des nationaux.
S'il est un acteur important des médias de la planète, Lagardère n'a pas l'aura d'un Murdoch (News Corporation) ou même de Vivendi, de TF1 ou de Bertelsmann, car il ne possède pas de chaînes de télévision importantes. Arnaud Lagardère assure y avoir renoncé après les déboires de La Cinq, fermée en 1992, et l’expérience Canal+ qu'il aurait pu acheter en 2002 lorsque cette entreprise accumulait les problèmes financiers lors de la mise à pied de Jean-Marie Messier. Aujourd’hui, Arnaud Lagardère ne juge « pas stratégique » d’investir dans un gros network télévisé.
 
La filiale média est également concurrencée par Internet. Contrairement aux objectifs ambitieux annoncés, le groupe a peiné à lancer des portails Internet puissants autour de ses marques phares comme Elle. Arnaud Lagardère avait fixé l'objectif d'être leader sur Internet en France mais cela semble être l’un des plus flagrants échecs des managers actuels, malgré l'acquisition de Doctissimo en 2008 ou de Nextedia, l'agence de publicité interactive. Des acquisitions qui viennent masquer la faiblesse d’une offre qui n’arrive pas à la hauteur de Dailymotion, Orange, LeMonde.fr, LeFigaro.fr ou même des sites de TF1 et M6.
 
Non content de fabriquer des journaux, Lagardère les distribue. Présent dans 18 pays, le groupe est leader mondial de ce marché grâce aux enseignes Relay en France ou Newslink en Australie et à Singapour. Le groupe distribue également des produits culturels (et notamment ses livres) via les Virgin Megastor implantés en France, en Allemagne, en Australie, en Allemagne, en Chine et aux États-Unis. Moins visible que les autres branches du groupe, cette activité réalise tout de même 43 % du chiffre d'affaires total du groupe (en 2009) et contribue à 18 % des bénéfices du groupe. Cependant cette activité ne dégage qu'une marge faible aux alentours de 3 % (loin des 13 % de marge de la branche édition).

Le sport, la nouvelle marotte de Lagardère

 

C'est sur les terrains de sport qu'Arnaud Lagardère compte développer son groupe. Depuis 2007, le gérant achète à tout va des entreprises du secteur avec pour ambition d'être présent dans six domaines du sport business : les académies qui forment les athlètes, la représentation des sportifs, l’organisation d’évènements, le marketing sportif, le consulting et la gestion des droits de retransmission. De la société Sportfive en 2007 (qui commercialise les droits sportifs) à celle, au printemps, de Best, spécialisée dans la représentation de joueurs de basket (dont Joakim Noah), Arnaud Lagardère investit au forceps ce domaine qui le passionne. À ceux qui l'accusent d'entretenir chèrement une passion, le dirigeant répond que l'activité de ce marché mondial aura grimpé de 40 % entre 2004 et 2012 et atteindra 100 milliards de dollars, billetterie incluse, dans deux ans. Le groupe ambitionne de prendre à IMG le leadership dans ce secteur et de marquer les esprits lors des prochains jeux Olympiques de Londres. En 2009, la branche Sports (rebaptisée en 2010 Unlimited) a généré 56 millions d’euros de bénéfices.

Personne ne conteste le potentiel économique de ce secteur mais reproche parfois les nombreuses acquisitions (LA grande spécialité de ce groupe) qui nécessitent d’importantes liquidités. Pour trouver celles-ci, Lagardère n'hésite pas à vendre ses nombreuses participations qu'il détient dans de nombreuses entreprises.

Solde des participations

 

Canal + France, Le Monde, Amaury, Marie Claire : le groupe Lagardère est présent dans le capital de nombreuses entreprises de communication. Un héritage que veut solder Arnaud Lagardère. Sa nouvelle doctrine est de racheter les entreprises dont il a des parts ou sortir du capital. Ainsi, il pourrait aussi bien monter au capital du groupe Amaury [L’Equipe, ASO, Le Parisien, groupe dont il détient 25 % du capital] que le quitter. Il n’a pas participé à la recapitalisation du groupe Le Monde opérée cet été. Le groupe est entré dans un bras de fer avec Vivendi, la maison mère de Canal+, pour céder ses 20 % de Canal+ France. Lagardère espère en obtenir plus d’un milliard d‘euros (1,35 milliards selon Le Figaro) quand Vivendi joue la montre pour ne pas excéder cette somme.
 
Ce nouveau cap est là encore très commenté. A quoi serviraient ces nouvelles rentrées d’argent ainsi débloqué ? Cette question - pour l’instant sans réponse – est déterminante pour ce groupe qui pourrait désormais avoir les moyens de réaliser une importante acquisition et devenir un acteur toujours plus pesant dans le paysage médiatique mondial.

Le staff Lagardère

 

Lagardère SCA :
  • Gérant : Arnaud Lagardère
  • Co-gérants : Philippe Camus, Pierre Leroy, Dominique D'Hinnin,  Thierry Funck-Brentano
PDG des filiales :
  • Arnaud Nourry, Lagardère Publishing
  • Didier Quilot, Lagardère Active
  • Jean-Louis Nachury, Lagardère Services
  • Olivier Guiguet, Lagardère Unlimited.

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