Illustration d'Alice Durand représentant au premier plan une journaliste assise à une table. Elle parle devant un micro et un ordinateur et caresse un chat. Sur l'écran, on voit un journaliste Noir avec casque et micro. Au second plan, derrière la fenêtre de l'appartement, des passants portent un masque.

Les podcasts d’actualité ont un pouvoir d’attraction décuplé par rapport à d’autres : ils ne représentent que 6 % des 770 000 podcasts existants dans le monde, mais se placent partout dans le palmarès des plus écoutés.

© Crédits photo : La Revue des médias. Illustration : Alice Durand.

Les podcasts d’actualités en plein « boom » depuis le confinement

Pendant la crise de la Covid-19, plusieurs médias ont développé leur offre de podcasts d’actualité, ou vu l'audience de leur podcast exploser. Cette crise marque-t-elle un tournant dans la production de podcasts d'information par les médias historiques ? Enquête auprès des acteurs de ce segment.

Temps de lecture : 9 min

Le 25 mars 2020, moins de deux semaines après l’annonce du confinement par Emmanuel Macron, les abonnés du Monde reçoivent une notification : le journal lance un podcast consacré à la crise de la Covid-19, Pandémie. Son visuel : le désormais célèbre virus sur fond vert. Ce n’est pas le premier podcast du quotidien, mais son premier d’actualité chaude. Les trois précédents relevaient de l’adaptation de formats écrits ou de l’interview : la mini-série PS, sept ans de trahison reprend l’enquête de Gérard Davet et Fabrice Lhomme sur les fractures du Parti socialiste, S’aimer comme on se quitte met en scène les textes de la rubrique éponyme, et Le Goût de M interroge des personnalités sur leur rapport au goût. Pandémie propose quant à lui, deux à trois fois par semaine, d’analyser, en vingt minutes, un sujet au cœur de l’actualité sur lequel les journalistes ont enquêté. Ce 25 mars, la question qui mobilise le service Sciences et médecine : « L’hydroxychloroquine, traitement efficace ou faux espoir ? »

« Nous nous sommes beaucoup interrogés, avant, de manière théorique, sur l’écriture, l’univers sonore, l’équipe qui pourrait incarner un podcast d’actualité du Monde, raconte Jean-Guillaume Santi, ancien chef des éditions Discover sur Snapchat, avant d’animer Pandémie. Le Monde est toujours attendu sur les nouvelles narrations, et nous n’avions pas envie de diffuser un contenu à moitié abouti. La pandémie nous a donné l’opportunité d’improviser. » Accompagné par le studio Insider Podcasts d’Adèle Humbert et Émilie Denêtre, l’ancien journaliste vidéo a interrogé ses confrères confinés, depuis sa chambre. Le ton est calme, posé, presque lent. « Nous voulions sortir du stress de la spirale d’information continue, faire du « slow journalism », explique Jean-Guillaume Santi. « Je me suis même inspiré des voix des applis de méditation. »

Un retard français dans les podcasts natifs

L’entrée du Monde dans le champ des podcasts d’actualité signale-t-elle un tournant ? Alors qu’ailleurs dans le monde, en 2019, les médias ont investi dans des podcasts d’actualité, inspirés par l’exemple de The Daily du New York Times, avec ses 2 millions d’auditeurs quotidiens, l’offre, en France, est restée limitée. En particulier celle en provenance des rédactions dont l’audio, ou la vidéo, ne sont pas le cœur de métier. En décembre 2019, la France faisait même figure d’exception : près de 70 % des écoutes de podcasts d’information (selon la classification d’Apple) relevaient de la radio de rattrapage et 30 % seulement des podcasts natifs, alors qu’aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Suède, cette proportion est inversée. Le Reuters Institute for the Study of Journalism pointait du doigt un marché français « immature » avec « un manque d’investissements de la part des éditeurs » autres que la radio. Or, ces podcasts d’actualité ont un pouvoir d’attraction décuplé par rapport à d’autres : ils ne représentent que 6 % des 770 000 podcasts existants dans le monde, mais se placent partout dans le palmarès des plus écoutés. En France, ils représentent même 34 % du top 250, contre 21 % aux Etats-Unis ou 16 % au Royaume-Uni.

Les groupes radio et audiovisuels l’ont bien compris : depuis début 2020, ils ne cessent d’annoncer de nouvelles adaptations de leurs émissions ou des créations originales, comme c’est le cas de Brut, BFM TV, RMC, TF1 et bien sûr Radio France. La presse numérique et papier, elle, aborde encore le podcast d’information avec prudence. De nombreuses rédactions se disent « en phase d’expérimentation ». « Lors de leur transition numérique, de nombreuses rédactions se sont heurtées à la difficulté de transposer leurs contenus écrit en vidéo », explique Pierre Serisier, cofondateur du Paris Podcast Festival et conseiller éditorial à Libération sur la création de ses podcasts. « Le podcast, c’est encore autre chose : il faut tout inventer. D’où une inquiétude légitime sur comment s’emparer et maitriser cette nouvelle forme d’écriture. Il n’y a pas de recette miracle. Et c’est ce qui le rend intéressant. Sa valeur tient à la fois au contenu en matière d’information et à la forme de narration, moins normalisée que la vidéo. »

À Libération, par exemple, le choix a été de « faire ce que l’on sait faire ». S’appuyer sur les trois marqueurs identitaires du journal : Laurent Joffrin, les portraits de dernière page et Check News, le service de fact checking devenu une marque à part entière. La crise de Covid-19 a interrompu les grands entretiens avec le directeur de la rédaction, réservés aux abonnés, faute de pouvoir enregistrer. Elle a aussi conduit à reporter le lancement des portraits. « Nous avons travaillé sur des autoportraits post-mortem, dont celui de Brigitte Fontaine, fantastique, mais déplacé en pleine crise sanitaire », explique Pierre Serisier. Reste Vous avez une question de Check News, qui suit en six minutes les coulisses de la vérification d’une information. Lancé en février, en accès gratuit pour conquérir de nouveaux lecteurs, « il avait déjà une communauté de lecteurs, il a trouvé son public » indique Christophe Israël, directeur adjoint de la rédaction, sans communiquer de chiffres d’audience. Son sort est entre les mains de la nouvelle direction du journal, Denis Olivennes, arrivé le 11 juin 2020.

The Daily comme principal modèle d’inspiration

Si les rédactions expérimentent avec les formats, de la mini-série thématique —comme celle de La Croix sur le pape — au flash d’info du soir d’Ouest-France, celui de The Daily, vingt minutes d’explications approfondies sur le sujet du jour, est devenu malgré tout un modèle. Parce qu’il permet de « s’appuyer sur le travail des journalistes et de mettre en valeur l’expertise d’une rédaction », observe Nic Newman du Reuters Institute. Avant Le Monde, les trois premiers podcasts quotidiens français s’en sont inspirés : Programme B de Binge Audio, Code Source du Parisien et La Story des Échos, tous deux accompagnés à leur lancement en mai 2019 par Binge Audio (le groupe Les Échos-Le Parisien détient 33,34 % du capital de Binge Audio). Thomas Rozec de Programme B n’a à sa disposition qu’une mini-rédaction constituée des experts maison (sur le genre, la race, la pop culture, etc) : « Mon défi consiste à trouver, sur le sujet du jour, la personne la plus intéressante pour en parler », explique-t-il. Pendant le confinement, il a joué avec la « plasticité du format », et fait appel aux « memo voices » des auditeurs « pour maintenir le lien avec le public, rompu par l’interruption des rencontres et spectacles ». Avant la crise de la Covid, Programme B cumulait 300 000 écoutes mensuelles, le deuxième programme le plus écoutés de Binge Audio, derrière Les couilles sur la table.

Jules Lavie pour Code Source, un ancien de la radio France Info, s’appuie, lui, sur les 400 journalistes du Parisien. Quant à Pierrick Fay, il souligne qu’ « aucune radio ne dispose de journalistes spécialistes de l’économie couvrant autant de secteurs que Les Échos ». Si la publication de leurs épisodes est bien quotidienne, la temporalité de leurs podcasts relève davantage du magazine. « Même si nous le voulions, nous ne pourrions faire de l’actu chaude », juge Jules Lavie. Son équipe de production est réduite : un présentateur, un journaliste pigiste et demi, un réalisateur son. Surtout, les journalistes concentrent leurs forces sur le journal. Le podcast arrive après, dans l’ordre des priorités. « Je ne peux pas leur demander de travailler juste pour moi, explique Jules Lavie. 99 fois sur 100 nous partons d’enquêtes faites, ou en préparation, pour le journal, mais en les racontant différemment. Je ne cherche pas un angle, mais une histoire. De combat, d’adversité. »

Pierrick Fay vient également de la radio, treize ans à Europe 1 avant de rejoindre Les Échos. « Je nous vois comme une start up : nous avons installé des micros dans une salle de réunion, nous sommes trois pour faire chaque jour une émission de vingt minutes. En radio, nous serions au moins le double ! » La Story est pour lui « une vitrine du journal ». « Nous avons réussi à montrer que l’économie, ce sont des entreprises, mais aussi de la politique, de la culture, de l’international, de la vie quotidienne. » L’ancien journaliste de la salle des marchés garde un œil sur ses statistiques d’audience : « Avant le confinement, notre audience est montée progressivement pour atteindre 15 à 20 000 personnes par jour, avec un taux de complétion de 80 %. Nos meilleures scores sont piles dans l’ADN du journal : le Brexit, l’immobilier, les taux d’intérêt négatifs, les retraites, l’assurance vie... Des sujets complexes aux yeux des Français, auxquels nous apportons des réponses. »

Audiences record et risques de saturation

Code Source et La Story ont fêté leur un an en plein confinement, sans avoir jamais arrêté la production. Début juin, La Story affichait plus de 4,7 millions d’écoutes cumulées. Code Source revendiquait plus de 5 millions d’écoutes, dont un million rien qu’en avril, le double des audiences mensuelles précédentes. « Un très beau succès », « suffisamment intéressant pour que nous continuions », a expliqué Sophie Gourmelen, directrice générale du Parisien, sur France Info. Le podcast a, selon elle, permis de fidéliser les lecteurs — puisque « les auditeurs ont trois fois plus de chance de rester avec nous et de s’abonner » —, mais aussi d’en recruter de nouveaux. Plus d’un tiers des auditeurs ont entre 18 et 35 ans.

Le besoin d’information pendant la crise de la Covid et le trafic record sur les sites numériques d’information, ont boosté les chiffres d’audience de tous les podcasts d’actualité adossés à un média numérique. Au Monde, Pandémie a dépassé le million d’écoutes entre le 24 mars et la mi-juin. Promu par des notifications aux abonnés, mis en avant sur le site et sur l’appli, le podcast a d’abord été découvert via le site lemonde.fr, avant d’être écouté sur les applications de podcasts et de streaming audio. Meilleurs scores d’audiences : 119 000 écoutes pour l’épisode sur la grippe de Hong Kong de 1968 et 91 000 pour celui consacré à « À quoi va ressembler la crise économique ? ». Pandémie a vocation à s’arrêter (au moins pour l’été). Quelle sera la suite pour Le Monde ? Un podcast quotidien ne semble pas une priorité. « La fréquence quotidienne n’est pas un objectif, explique Alexis Delcambre, directeur adjoint de la rédaction chargé de la transformation numérique. En revanche, ce qui l’est, c’est de continuer à pouvoir décliner nos grandes enquêtes différemment et de donner à un nouveau public l’occasion d’entendre nos journalistes. »

Le prochain grand rendez-vous d’actualité ? Les élections présidentielles américaines. À Une lettre d'Amérique de Philippe Corbé de RTL, à Washington d’ici des radios francophones publiques, à Trump 2020 de Slate, s’est ajouté Twenty Twenty, le premier podcast de l’AFP, auquel se consacre Antoine Boyer à Washington, entre récit, analyse et reportage. « Nous ne voulions pas laisser passer le train de l’audio, explique Laurent Nicolas, en charge du projet à Paris. Nous testons quelle pourrait être notre place dans cet écosystème. » La Croix prévoit, également, de lancer un podcast sur le sujet à l’automne. « En nous concentrant sur nos sujets d’expertise, nous avons réussi à amener vers le podcast une partie de notre lectorat, qui ne correspond pourtant pas au portrait robot de l’auditeur de podcast (jeune, urbain, connecté) », se félicite son rédacteur en chef, Jérôme Chapuis. « Cela nous encourage à poursuivre ces explorations. »

Risque-t-on la saturation ? « Pas sur les élections américaines, car chacun l’aborde avec une narration différente, estime Christophe Carron, directeur de la rédaction de Slate. Pour Trump 2020, en partenariat avec Time To Sign Off, nous sommes dans l’analyse avec Laurence Nardon, la meilleure spécialiste des États-Unis à l’Institut français des relations internationales (l’audience de ce podcast a augmenté de plus 50 % pendant le confinement, NDLR). Sur le news, en revanche, l’offre est saturée par RTL, RMC, BFM TV, TF1. Nous ne faisons pas de l’audio pour redire ce qui a déjà été dit. Nous partons de l’actu, comme prétexte pour raconter une histoire. »

L’audio fait désormais partie intégrante de la stratégie numérique de nombreuses rédactions, même si dans la période post-Covid, suite à la baisse des recettes publicitaires, le modèle économique reste flou. « Nous commencions à avoir de la publicité via notre régie sur La Story, confie Pierrick Fay des Échos. Mais le coronavirus a stoppé tout cela. » Chez Ouest-France, qui a choisi de ne pas produire un seul podcast d’actualité quotidien, mais plus d’une vingtaine d’émissions récurrentes (autour du sport, des religions, de l’Europe, etc.) et des podcasts sur les grands moments d’actualité (comme les municipales ou le Vendée Globe), « la question pour l’instant n’est pas de rechercher un retour sur investissement immédiat », estime Edouardo Reis Carona, rédacteur en chef en charge du numérique et de l’innovation. Et de s’interroger : « Mais comment créer de la valeur éditoriale avec l’audio ? Certains programmes ont une audience suffisante pour attirer de la publicité, d’autres sont en phase d’acquisition de l’audience, en espérant que des sponsors s’y intéressent. On ne va pas se le cacher, c’est encore un marché qui se cherche. »

 

Mises à jour : Pierre Serisier était mentionné à tort comme journaliste à Télérama, et Jean-Guillaume Santi comme rédacteur en chef des éditions Snapchat Discover au Monde.

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