Capture d'écran de Canal Play

© Crédits photo : Hector Milla / Flickr.

La VoD face au gratuit

En pleine croissance depuis 2007, le marché de la vidéo à la demande est face à un défi de taille : prouver à l'internaute qu'acheter ou louer un film en ligne est plus facile et moins contraignant que de télécharger illégalement.

Temps de lecture : 20 min

Marché : la VoD, sérieux relais de croissance

 

La distribution des films à la demande se développe depuis le début des années 2000 et s’établit peu à peu dans les pratiques du grand public. Avec un taux de croissance annuel moyen estimé à 57,5 % entre 2008 et 2011, le marché français de la VoD payante représente un fort potentiel.
Le marché VàD / VoD payante en France
GfK Retail and Technology, Le marché de la VoD en France, NPA Conseil, Novembre 2011.
Le marché connaît une croissance relativement soutenue depuis 2007 (+64 % en 2010, +29 % en 2011). Des résultats à relativiser puisque la VoD ne représente que 197 millions d’euros, contre 1,26 milliard d'euros de chiffre d’affaires pour le marché du DVD et du Blu-ray en 2011. À noter également que les chiffres de la VoD étaient en repli de 6,4 % en juin 2013(1). Et si cette tendance se confirmait pour le dernier trimestre de l’année, le marché pourrait se retrouver dans une situation inédite, sans relais de croissance solide pour 2014. Toujours est-il qu’avec près de 10 % des ventes de produits culturels réalisées sous forme électronique, la migration des usages vers le numérique est inéluctable. La VoD apparaît comme un sérieux relais de croissance pour l’industrie du film.
 
La technique du cinéma a connu une remarquable longévité depuis sa création voilà plus de cent ans. Si des avancées majeures comme l’apparition du son ou de la couleur ont révolutionné ce média, la bobine de film argentique a toujours été son support de base. Mais avec l’arrivée du numérique, le support filmique se dématérialise, les films s’échangent à travers le réseau. Le développement rapide d’Internet a ouvert de nouvelles perspectives à la diffusion des œuvres et au rapport entretenu avec le public. Sans pour autant dévaloriser la sortie en salles qui reste déterminante, le numérique pourrait se substituer à terme à la distribution sur support physique. La pénétration du haut et très haut débit, l’intégration désormais systématique des services de VoD dans les formules d’abonnement à Internet, la généralisation des offres de télévision de rattrapage (TVR) et le développement des terminaux connectés sont autant de facteurs qui permettent d’élargir l’offre de contenus et de services innovants.
 
Tandis que la VoD à l’acte (location ou achat d’un film à la demande) se développe, les offres par abonnement (S-VoD pour Subscription VoD) commencent à se généraliser. Quatre modèles économiques principaux existent. Le téléchargement temporaire, ou « location dématérialisée », est le modèle prédominant qui a permis à la VoD de se développer, notamment à travers les offres IPTV(2), qui représentent en France 91,3 % du chiffre d’affaires du marché. Les prix des films varient en moyenne entre 2,99 et 3,99 euros. En parallèle, le téléchargement définitif, ou « vente dématérialisée », s’est peu à peu généralisé et présente l’avantage décisif d’être nettement plus rémunérateur pour les ayants droit que la vente de DVD qui comporte des frais incompressibles tels que le mastering, la duplication, la distribution logistique et commerciale. Cependant, les tarifs sont relativement élevés pour les nouveautés, pouvant atteindre 17,99 euros, un prix bien supérieur à celui d’une place de cinéma. Pour ce qui est de la S-VoD, les formules tournent autour de 10 euros par mois. Ce type d’offre apparaît comme un modèle privilégié par les opérateurs télécoms et les FAI (fournisseurs d’accès à Internet) car ils disposent au départ d’une large base de clients pour atteindre rapidement une masse critique, et des moyens marketing pour accélérer le recrutement et la pénétration des offres. Enfin, la diffusion gratuite, quoiqu’encore peu répandue, se développe. Ce segment gratuit inclut notamment les services financés par la publicité comme les offres de TVR ou les services de type YouTube et Dailymotion.
Dailymotion : hébergement, partage et visionnage de vidéo en ligne.
Comme le souligne le rapport de 2008 du CNC sur l’économie de la VoD en France, les modèles économiques de la location et de la vente dématérialisée « sont d’ores et déjà bien établis et les règles du jeu définies. Leur succès dépendra du développement des volumes, de l’évolution des prix ou de la répartition des ventes entre PC et IPTV ». En revanche, les modèles de la vente par abonnement et de la diffusion gratuite n’ont pas encore trouvé d’équilibre pour un partage optimal des revenus. Tandis que le secteur du cinéma a d'abord perçu Internet comme une menace, celui-ci réalise désormais qu'être présent sur le web n'est plus une option, et peut être source de revenus. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire. Nombre de films disponibles ridiculement bas, faiblesse de la promotion des offres et indigence des plateformes : les points noirs ne manquent pas, et chacun suffit à conforter le manque d’enthousiasme des éditeurs et des consommateurs.

 

Usages : vers une culture du lien plutôt que du bien

Les modèles de production et de distribution s’ajustent et tentent de prendre en compte l’évolution des usages. La baisse considérable des coûts et l’accessibilité accrue des œuvres dématérialisées contribuent à une culture de l’expérience où l’utilisateur veut pouvoir accéder à tout, immédiatement et sans contraintes. Des médias de diffusion, nous passons aux médias en réseaux. À l’heure où les obstacles à la distribution s’effondrent, le pouvoir n’est plus entre les mains de ceux qui contrôlent les canaux de distribution mais de ceux qui contrôlent les ressources limitées de l’attention. L’industrie doit alors développer des modèles économiques novateurs afin d’être en mesure de capter une valeur qui se déplace vers l’attention, la réputation et l’implication de ses clients.
 
Comprendre la génération Internet, c’est comprendre l’avenir. On la nomme la « génération Y » (Y en anglais se prononce comme why, qui signifie pourquoi). Cette nouvelle génération a grandi au tournant des années 2000, avec l'avènement du numérique. Son mode de vie intègre pleinement les nouvelles technologies. Ce nouveau public est empreint d’une vision sociale communautaire issue des mouvements de la contre-culture américaine ; une manière inédite de communiquer, de gérer et de vivre ensemble émerge. Leur rapport original à la technologie comme outil de libération individuelle s’amplifie avec la généralisation des systèmes d’échange de pair à pair (en anglais peer-to-peer, P2P) et des plateformes communautaires de type YouTube. Une nouvelle culture participative apparaît. Issue de l’éthique hacker, cette génération partage, de façon plus ou moins consciente, un ensemble de valeurs telles que la débrouille, la liberté d’information, l’ouverture, le rejet du pouvoir industriel et commercial ou encore l’autosuffisance comme garantie d’indépendance. L’accent est mis sur les formules personnalisées, l’interactivité, le travail en réseau et la recherche inlassable de nouvelles percées technologiques sans contrepartie financière apparente.
 
Nombreux sont ceux qui pensent que la générosité est au cœur de l’économie du don. Cependant, comme l’a montré le sociologue Marcel Mauss, à y regarder de plus près, les motivations ne sont souvent pas si altruistes. Étant donné que le coût de distribution d’un contenu dématérialisé est proche de zéro, le partage a pris une ampleur industrielle. Wikipédia illustre cette économie du don altruiste dont l’unique rétribution est d’ordre moral et/ou dans la visibilité.
 Dans le sillage du gratuit, depuis longtemps intégré au sein de modèles économiques éprouvés, l’économie du don se révèle de plus en plus rémunératrice. 
L’essor de la consommation collaborative renforce le sentiment d’appartenance à une communauté. Un produit devient alors un outil de socialisation. Les contributeurs veulent se former, s’exprimer, s’amuser, échanger, émerger. Sans forcément en être conscients, ils créent de la valeur gratuitement. Dans le sillage du gratuit, depuis longtemps intégré au sein de modèles économiques éprouvés, l’économie du don se révèle de plus en plus rémunératrice.
 
Pour les entreprises du Net, la gratuité n’apparaît plus comme une étape intermédiaire vers un modèle économique mais plutôt comme le point de départ des modèles économiques, le cœur de leur philosophie dans le développement de nouveaux produits et services. Un nouveau type de modèle d’affaires émerge, qui dépasse les offres promotionnelles ou les ventes liées. Le « freemium », comme l’explique Chris Anderson, ancien rédacteur en chef du magazine Wired dans son ouvrage Free : The Future of a Radical Price, le gratuit permet de proposer un mélange de versions gratuites (free) et payantes (premium) d’un même service. Dans la mesure où Internet apparaît comme une terre d’abondance où le coût marginal d’un client supplémentaire est nul et celui des technologies de traitement, de bande passante et de stockage de plus en plus négligeable, « la gratuité ne devient pas juste une option mais est inévitable ». Pourtant, comme le souligne l’auteur, « il se pourrait que le gratuit soit le meilleur prix, mais il ne peut pas être le seul »(3).
 
Nous vivons aujourd’hui dans un monde de flux, où l’information est omniprésente. La distribution de contenu devient interactive et conversationnelle. L’attention se pose sur le présent immédiat. La logique du service l’emporte alors sur toutes les autres. La sociologue Danah Boyd décrit ce phénomène en le comparant à un courant dans lequel la nouvelle génération évolue, y ajoutant des choses, les consommant, les réorientant(4). L’attention, ressource rare, devient la base d’une nouvelle économie. Il devient crucial de savoir s’orienter face à une cascade illimitée de données et d’opinions qui peut nous submerger. En parallèle du développement de l’expérience en temps réel comme offre différenciée justifiant de payer, la distribution numérique est également l’occasion de redéfinir le rôle entre l’industrie et ses clients. Le public ne doit plus être placé simplement en bout de chaîne, en phase de digestion, mais bien dans un processus participatif d’accompagnement de l’information et dans une logique de cocréation de valeur.
 
Le gratuit s’est donc imposé sur Internet. Mais ne nous y trompons pas. Si aujourd’hui, les jeunes qui visionnent massivement et gratuitement (légalement ou illégalement) disposent de beaucoup de temps mais de peu d’argent, dès que ceux-ci seront entrés dans la vie active, avec a priori plus d’argent que de temps, ils seront alors potentiellement prêts à payer pour des services à valeur ajoutée.

Piratage : des effets difficiles à mesurer

Difficile de parler de VoD sans parler du piratage, son concurrent direct. Dans le sillage de Napster, apparu en 1999, l’échange P2P se développe de façon fulgurante pour procéder au téléchargement illégal des films. Pour les majors, c'est un instrument diabolique qui a mis le piratage à la portée de tous. Pour d'autres, un nouveau moyen révolutionnaire d'accès à la culture et à l’information.
 
Logo de Napter.
Les réseaux P2P sont basés sur les principes fondateurs d’Internet : échange direct entre les utilisateurs, sans serveur ou autorité centrale, ni intermédiaire obligé. Le développement de la puissance du matériel informatique à un coût toujours plus faible, et la généralisation des accès à haut et très haut débit favorisent l’amplification de ce phénomène qui participe de ce monde de flux au sein duquel la clientèle connectée évolue. Après le grand succès rencontré par l’échange de fichiers, la tendance est au streaming. Les internautes s’inscrivent désormais dans une logique d’expérimentation en temps réel, rejetant progressivement les applications ou les habitudes nécessitant d’attendre ou d’expérimenter plus tard. Même s’il est encore important de posséder le contenu et de pourvoir le lire sur différents terminaux, les internautes préfèrent payer pour des services illimités de streaming vidéo plutôt que d’acheter au prix fort un film en téléchargement à l’unité et rencontrer ensuite des problèmes de stockage ou de compatibilité.
 
Les pirates d’aujourd’hui sont, dans une certaine mesure, les acheteurs de demain. La diversité des formules, les freins au paiement et aux usages continuent à peser sur l’offre légale, en même temps que l’habitude de consommation illicite. « Bien que la "génération numérique" paraisse réticente à mettre la main au porte-monnaie pour télécharger ou consulter en ligne des contenus, ils sont en réalité proportionnellement deux fois plus nombreux que le reste de la population à avoir déjà payé pour ce type de service.
 Les pirates d’aujourd’hui sont, dans une certaine mesure, les acheteurs de demain. 
Ils sont également plus disposés à payer pour obtenir un meilleur service de qualité supérieure », souligne ainsi une étude de la Commission européenne de 2009. Le succès du téléchargement illégal est d’ailleurs révélateur de l’appétit du consommateur qui veut voir son film tout de suite, en bonne qualité et simplement. Le problème, c’est que l’offre illégale demeure souvent plus simple et plus complète que l’offre légale. Par exemple, un film classique comme La grande vadrouille, qui n’est disponible sur aucune plateforme de VoD, peut être obtenu très facilement sur les réseaux de téléchargement illégal.
 
Tout comme le magnétoscope était à ses débuts comparé à l’étrangleur de Boston(5) (copier un contenu TV était considéré comme du vol par les majors), l’industrie du cinéma crie à l’assassin face au piratage. Pourtant, le chiffre d’affaires n’a pas baissé et l’industrie cinématographique se porte globalement bien. Bien que les ventes de DVD chutent, les autres modes de diffusion progressent : la VoD apparaît prometteuse ; les nouveaux supports vidéo en HD prennent la relève du DVD et de la VHS ; les salles ne se sont pas vidées. L’impact du piratage sur l’industrie du cinéma est variable, difficile à mesurer et à analyser objectivement. Comme le souligne le rapport de la Cour des Comptes américaine, le GAO, qui a étudié les recherches sur les effets du piratage parues entre 1999 et 2009, il n’existe aucune méthodologie unique de collecte et d’analyse des données. La manière dont les informations sont collectées, le taux de substitution calculé et la valeur des produits estimée varient selon les pays et les industries. Le taux de substitution, qui représente le nombre de films qui auraient pu être vendus s’il n’y avait pas de piratage, constitue une hypothèse centrale et peut avoir un impact crucial sur les résultats de l’estimation des pertes économiques. Mais il est désormais admis qu’un fichier téléchargé ou visionné illégalement n’équivaut pas à une vente en moins pour l’industrie, et que les pratiques légales et illégales se combinent.
 
Malgré les discours alarmistes, l’échange de fichiers a eu un effet plutôt modéré sur l’économie du cinéma dans son ensemble et n’a certainement pas découragé les créateurs.
 Malgré les discours alarmistes, l’échange de fichiers a eu un effet plutôt modéré sur l’économie du cinéma dans son ensemble et n’a certainement pas découragé les créateurs. 
Avec des effets multiples certains, le piratage demeure cependant pour l’industrie du cinéma un élément destructeur de valeur qu’il convient de combattre. La demande de films étant particulièrement forte, l’enjeu stratégique reste la compréhension des nouveaux comportements et attentes du public internaute, ainsi que l’identification des nouvelles sources de création de valeur.

Offres : un contenu varié sur tous les terminaux et facilement accessible

Le secteur du cinéma a d'abord perçu Internet comme une menace. Une fois le film disponible sur le Net, comment empêcher qu'il ne soit massivement piraté ? Comment s'assurer d'un retour sur investissement ? Comment être sûr que le nouveau média ne cannibalise pas les autres modes de distribution ? La réaction des ayants droit a donc été défensive. L'objectif n'était pas de comprendre les nouveaux comportements et attentes du nouveau public mais de stopper l'hémorragie. À défaut d'offres innovantes, la distribution de films par Internet a donc été longtemps marginale, si ce n’est illégale. Mais désormais, être présent sur le web n'est plus une option. Il faut aller là où va l'audience.
 
Le marché de la VoD est caractérisé par une grande hétérogénéité des acteurs qui viennent tout autant de la filière du cinéma et de l’audiovisuel que des télécommunications, de l’électronique grand public (EGP) et d’Internet. L’industrie audiovisuelle ne possède plus le monopole des films. De nouveaux entrants tentent de se positionner dans un environnement jusqu’à présent très fermé. Des stratégies de convergence apparaissent dans les domaines auparavant séparés des matériels, des contenus et des réseaux. Les détenteurs de droits se mobilisent et développent diverses stratégies pour vendre leurs films en ligne. La filière du commerce de détail et location vidéo se dématérialise progressivement. Les chaînes de télévision traditionnelles, quant à elles, essaient de protéger leur pré carré et offrent des services de TVR pour fidéliser l’audience et l’orienter vers leurs offres VoD payantes. Nouveaux acteurs dans la chaîne de valeur du cinéma, les opérateurs télécoms investissent également massivement dans les services de VoD et de TVR afin d’élargir leurs services audiovisuels et valoriser leurs offres d’abonnement à Internet. Pour leur part, les fabricants de matériel et de logiciel rencontrent un vif succès avec leurs modèles propriétaires axés sur la vente de terminaux connectés, à l’image de l’iTunes Store étroitement lié à celui des terminaux compatibles d’Apple. Enfin, les champions du web ont su baser leurs modèles sur la richesse des réseaux et du gratuit financé par la publicité.
 
iTunes Store.
Sur Internet, un Harry Potter est un Harry Potter. L’offre légale payante est en concurrence directe avec l’offre illégale gratuite. Au sein d’un marché de la VoD sans droits exclusifs, avec une capacité limitée des acteurs à rivaliser entre eux, les éditeurs de services à la demande s’efforcent de trouver d’autres avantages comparatifs que le prix pour attirer et surtout fidéliser les clients, que ce soit à travers une offre de films plus qualitative, un ensemble de terminaux ou de services attrayants.
 
La richesse et la qualité de l’offre constituent un atout évident. Le cinéma est la première source de chiffre d’affaires de la VoD avec 64,2 % du total annuel en 2010 ; à la fois sa vitrine et son promoteur. Les séries TV sont également un contenu phare sur Internet. Elles sont les plus visionnées en streaming. Face à ce phénomène, les plateformes tentent de miser sur les longs-métrages mais peuvent décider de se démarquer en se spécialisant dans un autre type de contenu, comme les documentaires sur Arte VOD, l’humour sur MyTF1 VOD ou le fitness sur Imineo. Des initiatives intéressantes apparaissent du côté des producteurs et distributeurs indépendants. Des services comme UniversCiné misent ainsi sur une forte « éditorialisation » du service et une programmation qui s’éloigne quelque peu des blockbusters américains. En parallèle, la HD et la 3D permettent à la filière de redonner une place centrale et valorisante à la sortie en salles ainsi qu’à l’offre VoD face au piratage.
 
Ce qui crée l’usage, ce n’est pas seulement l’offre, mais également la facilité, l’accès et la continuité de service. L’enjeu réside dans le contrôle de l’interface client. Désormais, les stratégies axées autour des terminaux connectés sont incontournables. Il s’agit de permettre aux gens de trouver ce qu’ils cherchent et qu’ils puissent le consommer quand ils veulent sur tous leurs supports.
 Ce qui crée l’usage, ce n’est pas seulement l’offre, mais également la facilité, l’accès et la continuité de service. 
Dans la lignée d’Apple, les fabricants de terminaux ont progressivement investi le domaine de la VoD. Le succès de leurs terminaux va alors de pair avec celui de leurs magasins de films à la demande, qui doivent toutefois être assez larges et riches. De multiples stratégies apparaissent autour de la vente de films à travers les terminaux connectés fixes et mobiles très prisés du public : magnétoscopes numériques, media centers, box, consoles de jeu, TV connectées, smartphones, tablettes. L’enjeu pour les acteurs de la chaîne de valeur (producteurs audiovisuels, annonceurs publicitaires, agences médias, chaînes télé, éditeurs de bouquet TV, opérateurs télécoms, fabricants de terminaux) est alors de maîtriser cette mutation des usages et leurs revenus associés. La VoD quel que soit le terminal, c’est ainsi l’ambition du groupe Canal Plus qui multiplie les accords avec détaillants et FAI, développe des applications, afin de proposer Canal Play Infinity sur ordinateurs, télévisions et appareils nomades orientés loisirs numériques.
TV Connectée.
La faculté à proposer un service simple, étendu et innovant représente également un avantage comparatif de poids. La simplicité s’impose sur le plan technique comme dans l’expérience utilisateur. Dans un contexte extrêmement concurrentiel, il faut avoir une vision stratégique et s’entourer de partenaires techniques innovants. Proposer un système convivial associé à une solution de micropaiement simple est tout aussi primordial. En parallèle, la S-VoD représente un levier extraordinaire de fidélisation, de création d’un parc d’abonnés et de différenciation. Les éditeurs de services français peinent toutefois à développer des offres d’abonnement attrayantes car confrontés à une chronologie des médias qui interdit de proposer les films en ligne par abonnement durant les 3 années suivant la sortie en salles, à une certaine frilosité des ayants droit à proposer leurs films en S-VoD, à une faible capacité des acteurs à rivaliser avec les offres américaines, ainsi qu’à un marché de l’IPTV fortement cloisonné. Et il en va de même pour les offres de cloud computing qui entendent permettre aux clients d’accéder aux films tout le temps, partout et sur tous leurs supports connectés. Là aussi, la chronologie des médias freine dans une certaine mesure l’innovation. Ce domaine, pourtant stratégique, reste donc dominé par les géants américains du numérique que sont Amazon, Apple et Google. Par ailleurs, pour rester compétitif dans un marché composé d’acteurs globaux, les stratégies de développement à l’international sont essentielles mais difficiles pour un marché français fragmenté. Enfin, l’utilisation de la recommandation sociale ainsi que le développement de services innovants pour la navigation entre les différents contenus sont désormais incontournables.
 
Dans un univers dématérialisé où tout est à portée de clic, il convient d’utiliser dans la chaîne de valeur quelque chose qui ne puisse pas être reproduit. Il est désormais primordial d’être en mesure d’offrir le contenu le plus varié possible sur tous les terminaux connectés et facilement accessible. 

Régulation : l’enjeu du financement de la création est central

Le cadre législatif basé sur l’identification d’un support, d’une chronologie et d’un territoire de diffusion s’adapte avec difficulté. Internet ignore les frontières, relativise les distances et le temps. Cette mutation implique de profonds changements dans la chaîne de valeur de la filière, ainsi que dans les modes de financement des œuvres.
                         
Le droit d’auteur est remis en question et appelle à une redéfinition de la notion d’auteur de même que de propriété intellectuelle. Face à la difficulté pour la législation de s’adapter dans une course de vitesse avec la technologie numérique, industriels et gouvernements vont tenter d’imposer un verrouillage des contenus dématérialisés afin de pouvoir contrôler les droits associés. Malgré l’abandon dès 2006 des DRM (verrous numériques) pour la musique en ligne, la tendance est au renforcement de la protection des droits grâce aux techniques numériques pour mieux contrôler les utilisations des films et la rémunération de la création. Cette évolution technicienne du droit de la propriété littéraire et artistique peut poser des problèmes de légitimité et de neutralité.
 
Tandis qu’il apparaît illusoire de vouloir arrêter le piratage, phénomène qui repose sur l’essence même d’Internet, il est urgent de disposer de solutions qui puissent concilier développement technologique, juste rémunération des auteurs et reconnaissance d’un rôle nouveau pour le public. Après 10 ans d’efforts pour enrayer l’essor du téléchargement illégal, les procès pour l’exemple laissent la place en 2009 au système de « réponse graduée » promulgué par la loi HADOPI.
 Il est urgent de disposer de solutions qui puissent concilier développement technologique, juste rémunération des auteurs et reconnaissance d’un rôle nouveau pour le public. 
Toujours fondé sur l’effet psychologique, ce dispositif a l’avantage d’automatiser la sanction : un premier avertissement par email, un deuxième avertissement par lettre recommandée, et en cas de réitération, suspension de l’abonnement. Cependant, avant même son entrée en application, la loi apparaît fortement critiquée pour son caractère excessivement répressif et ses difficultés techniques de mise en application. Un décret de juillet 2013 vient donc remplacer la coupure de l’accès par une peine d'amende de 1 500 euros, suivant les propositions du rapport de la mission Lescure. Mais le retard à l’allumage de la nouvelle réponse graduée, notamment suite à la passation de pouvoir de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) au CSA, fait aujourd’hui peser une certaine incertitude sur le marché.
 
Publicité anti-HADOPI.
 
Face au problème du piratage et à l’incapacité des gouvernements de verrouiller les échanges numériques, la législation tente de responsabiliser les intermédiaires techniques (hébergeurs et FAI), ce qui s’avère une tâche ardue et parfois périlleuse. Partant du principe qu’il serait absurde d’interdire une technologie sous prétexte qu’une partie de ses usages est illégale, et compte tenu de la difficulté à contrôler la masse d’informations disponibles, les intermédiaires ne peuvent être tenus responsables du contenu qui circule sur leurs plateformes. Cependant, à la demande des ayants droit, ils peuvent être tenus de bloquer les fichiers pirates.
 À la demande des ayants droit, les hébergeurs et FAI peuvent être tenus de bloquer les fichiers pirates. 
Les studios préfèrent désormais axer leurs actions autour d’une coopération accrue avec les plateformes UGC (User Generated Content) pour trouver des solutions créatives et souples aux mises en lignes de contenu protégé. La charte UGC Principles signée en octobre 2007 entre majors et plateformes témoigne de l’évolution des relations entre ces deux parties. Les FAI, seule composante tangible des réseaux sur un territoire national et établissant le contact avec le client final, sont pour leur part de plus en plus soumis à des pressions pour bloquer ou filtrer les sites soupçonnés de violation des droits d’auteur.
 
La modernisation de la chronologie des médias est également un enjeu essentiel pour être en mesure d’encourager au mieux le développement de l’offre légale et assurer la pérennité du cinéma. L’exploitation des films repose sur une double logique de segmentation chronologique et territoriale, instaurée en France il y a 20 ans suite à l’arrivée de la télévision. L’aménagement de diverses fenêtres de diffusion du film permet d’établir des délais ainsi qu’une exploitation optimale en rassemblant le plus d’audience possible sur chacun des médias et des territoires. Internet est venu bouleverser la logique de segmentation établie. En 2009, la chronologie des médias est modernisée pour intégrer la VoD.
 
Circuit des sorties de films en France
La chronologie des médias en France depuis le 9 juillet 2009.
Un assouplissement supplémentaire demeure nécessaire. Alors qu’il faut attendre 4 mois pour qu’un film soit disponible sur les plateformes légales, les films sont déjà disponibles sur les plateformes illégales. Et tandis que le délai de 36 mois (3 ans !) pour la fenêtre S-VoD demande à être raccourci, la première fenêtre de diffusion demeure courte, suivie d’une longue fenêtre durant laquelle le film est uniquement disponible sur l’offre de TV payante de type Canal+. Bien que certaines expériences de sorties day and date (simultanément sur plusieurs supports) rencontrent un réel succès, celles-ci restent encore exceptionnelles avec des modes de financement et de promotion particuliers, et ne semblent pas justifier le fait d’abolir la chronologie des médias. D’autant que la sortie cinéma s’avère plus que jamais déterminante. Mais tout le monde est bien conscient que l’actuelle chronologie empêche dans une certaine mesure le développement d’une offre légale compétitive et innovante. Toutefois, en avril 2012, les professionnels ont reconduit en l’état l’accord de 2009. Aucun consensus n’a pu être trouvé. Or, il est urgent que les acteurs français occupent le terrain qui, sinon, risque fort d’être conquis par des acteurs globaux comme Google TV, Apple TV, Hulu ou Netflix.
 
Les pouvoirs publics tentent également de faire participer équitablement tous les acteurs de la chaîne de valeur au système de financement du cinéma. Opérateurs télécoms et FAI, dès lors qu’ils exercent une activité audiovisuelle, contribuent ainsi à la taxe sur les services de télévisions du COSIP (Compte de soutien financier de l’industrie cinématographique et de l’industrie audiovisuelle). Si cette contribution semble légitime, il n’en va pas de même pour la taxe télécoms, dénoncée par Bruxelles comme présentant un risque de distorsion de la concurrence. Les éditeurs de services de VoD contribuent eux aussi au fond de soutien du CNC. En complément, le décret SMAD instaure un régime d’obligations de contribution qui tente de ne pas freiner le développement des plateformes et de prendre en compte la migration des usages. Pour ce qui est des fabricants de l’EGP, tandis qu’ils se déclarent favorables à une contribution aux industries de la création, ils appellent à une révision des montants qui leurs sont imposés à travers la rémunération pour copie privée. Autres grands acteurs de la VoD, les géants du Net échappent, pour l’instant, à toute contribution. L’échec de l’instauration de la taxe Google rappelle la difficulté de l’État, dans cette course de vitesse, à trouver des solutions viables concernant la fiscalité sur le numérique et à palier les manœuvres de sociétés étrangères pour échapper à l’impôt en France ainsi qu’au phénomène de désintermédiation.

Tendances : navigation dans le flux

Alors que les enjeux stratégiques étaient jusqu’à présent axés sur le développement de l’accès et des usages, les défis sont désormais d’intégrer et d’encadrer la nouvelle culture numérique afin de proposer des modèles économiques innovants pour la VoD.
 
La tendance est au développement d’univers de loisirs numériques complets, dans des environnements propriétaires intégrant les terminaux connectés et privilégiant le flux ainsi que l’exploitation des données.
 Alors que le futur de la VoD semble lié au développement des offres par abonnement, la chronologie des médias empêche pour le moment toute évolution. 
Utilisateurs comme opérateurs conviennent que le facteur clé de succès sera simple : une offre de contenus pertinente, accessible facilement depuis tous les terminaux, facturée de manière simple et non prohibitive. Alors que le futur de la VoD semble lié au développement des offres par abonnement, la chronologie des médias empêche pour le moment toute évolution.
 
Des stratégies concurrentielles se dessinent malgré un marché extrêmement instable. Tandis que le modèle du gratuit financé par la publicité s’élargit désormais au payant en misant sur des offres premium complémentaires, des stratégies en walled garden (endroit délimité, auquel seuls les membres ont accès) tentent de contrôler l’interface client en misant sur la qualité du service et de l’expérience utilisateur. Au nom de la sécurité et de l’exploitation commerciale des droits de propriété des contenus, le futur de la VoD semble s’orienter vers des systèmes verrouillés. Les acteurs capables de développer et de faire prospérer un environnement clos grâce à des positions prises dans la fabrication de terminaux et le développement de plateformes logicielles, pourraient ainsi être amenés à tenir les premiers rôles dans l’avenir du cinéma.

Données clés

- Taux de croissance annuel moyen de la VoD payante en France estimé à 57,5 % entre 2008 et 2011.
- La VoD en repli de 6,4 % en juin 2013.
- 10 % des ventes de produits culturels réalisées sous forme électronique.
- Le cinéma est la première source de chiffre d’affaires de la VoD avec 64,2 % du total annuel en 2010.

Références

 

Chris ANDERSON, Free – The Futur of a Radical Price, Hyperion, 2009
 
 
GfK Retail and Technology, Le marché de la VoD en France, NPA Conseil, Novembre 2011.
 
 
Hubert GUILLAUD, « Danah Boyd : Ce qu’implique de vivre dans un monde de flux », InternetActu, 6 janvier 2010

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Crédits photos :
- image principale : Canal Play ( Hector Milla/ Flickr   )
- capture d'écran Dailymotion
- logo du site Napster, à l’origine service de P2P destine à l’échange de fichiers musicaux
(Matthew Ruffino / Flickr)
- capture d'écran iTunes Store
- TV Connectée (sarapaul641 / Flickr)
- publicité anti-HADOPI (Omnysce / Flickr)
 
(1)

« Recul du marché de la vidéo physique », CNC, Octobre 2013. 

(2)

Internet Protocol Television : télévision diffusée sur Internet. 

(3)

Chris ANDERSON, Free – The Futur of a Radical Price, Hyperion, 2009. 

(4)

Hubert GUILLAUD, « Danah Boyd : Ce qu’implique de vivre dans un monde de flux », InternetActu, 6 janvier 2010.  

(5)

Dans les années 1980, Jack Valenti, le patron de la MPAA (le syndicat des majors d'Hollywood), avait déclaré au Congrès américain que le magnétoscope était à l'industrie du cinéma ce que l'étrangleur de Boston, le célèbre tueur en série, était aux femmes seules chez elles. 

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